Tour Des Mondes – Chapitre 107

La fin d’un combat.

En moins d’une heure, le village s’est complètement vidé et il n’y reste plus un seul guerrier. Pour ce qui est des villageois, n’en parlons pas trop.
Le village ne se redressera pas tout de suite de ce qui vient de se produire. Trop de morts dans les deux camps. La pluie continue de tomber et les flammes ne sont plus aussi grandes, mais le village est en très mauvais état. Le chef des gardes a pris le temps de rassembler les survivants et dans le port ils sont au total une trentaine en comptant les blessés. C’est vraiment peu si l’on considère la population avant l’attaque. Au final je n’ai pas sauvé beaucoup de gens. En attendant, il manque quelqu’un là-dedans, Thif.

Il est probablement caché et fera surface quand il comprendra qu’il n’y a plus de danger.

Je m’assois à côté d’Emy sur un muret à l’intérieur du port alors que les villageois se consolent les uns les autres à côté de nous et aident les blessés. Nous sommes tous les deux sales et trempés. Emy a mauvaise mine et elle est recouverte de sang. Même si elle allait bien quand je lui ai donné le cor tout à l’heure je pense que c’est le contrecoup de ses compétences qui en est la raison.

— On ne s’en est pas trop mal tirés je trouve.
— Trop de morts, je me rends compte je n’ai pas sauvé tant de gens que ça. C’était difficile dans le village, chaotique. J’espère juste que ça ne se reproduira pas de sitôt.
— Ne t’inquiète pas va. Ce soir, c’est moi qui paye ma tournée. Ça m’étonnerait que tu aies tué plus de guerriers que moi, mais vu que tu as eu le boss, je te cède la victoire.

Elle me tend une bouteille et je bois une rasade en regardant le port. À cause des cris de tristesse, de l’odeur de brûlé et du nombre de cadavres dans le sable, l’alcool n’a pas le même goût, mais j’ai vraiment besoin de me sortir des images de la tête et l’alcool est une bonne solution à portée de main. L’intérieur du port est calme en tout cas comparé à tout à l’heure. Des corps répandus sur toute la plage et dans l’eau, des petites vagues qui s’écrasent lentement dans le sable, la pluie fine qui rafraîchit l’atmosphère.
Je rebois un peu et donne la bouteille à Emy en soupirant.

— On fait quoi maintenant ? Je veux dire, ok on a défendu le village, mais on n’a toujours pas d’objectif à part suivre Thif.
— Un des guerriers que j’ai interrogé m’a dit qu’ils cherchaient quelqu’un et je pense qu’ils parlaient de lui. De toute façon, il n’a pas l’air de venir de ce coin du monde. Il ressemble plus aux guerriers qu’on vient d’affronter. J’aimerais qu’il nous parle, mais il ne dira probablement rien et continuera de nous donner des ordres.
— Quel calvaire franchement…
—Yep.

Je caresse la tête de Micha et demande à mes deux animaux s’ils vont bien. Juliette n’a pas l’air de trop mal se sentir et Micha a besoin de repos. Je glisse quelques croquettes dans sa poche en cuir où elle se repose et présente un morceau de viande à Juliette que je place dans la paume de ma main. Elle se jette dessus sans ménagement et le morceau disparaît rapidement dans sa gueule. Ce n’est pas très élégant pour une demoiselle. À peine ai-je le temps de penser ça que Juliette me fait comprendre que dans ce cas je devrais la nourrir plus souvent. Touché.

J’imagine que si l’appétit va, tout va. Évitons de la déranger plus que ça. Elle a autant le droit de se reposer que Micha. Même si elle n’a pas eu besoin de dépasser ses limites physiques, ce n’est pas non plus de tout repos de me soutenir mentalement. C’est assez étrange de se dire que la petite boule de poils qu’est Micha ainsi que la « délicate » Juliette puisse avoir de tel rôle dans la tour. Une souris devient éclaireuse et un serpent devient un soutien psychologique de combat.

Juliette serre et desserre son corps sur mon avant-bras et je décide de rabattre la manche de ma chemise sur elle pour la protéger de la pluie. Je vais la laisser se reposer.

Je regarde Emy qui me tend la bouteille à nouveau tout en regardant l’horizon et aussitôt que je la récupère je peux entendre derrière moi quelqu’un s’approcher. Je tourne un peu la tête en même temps qu’Emy et vois que c’est Thif qui s’approche dans ses guenilles. Je prends une grande gorgée en sachant pertinemment que la conversation ne va pas être plaisante.

Je peux entendre un bruit d’exclamation alors qu’il découvre la plage. J’imagine que c’est normal d’être surpris. Le spectacle n’est pas commun. Thif reste debout à côté d’Emy et regarde la scène. Il y a bien une centaine de corps sur cette plage, voir plus, mais je n’ai pas envie de compter.

— C’est vous qui avez fait ça ?
— Non, ils ont fait « ça » tout seuls.
— Ne soit pas déplaisante petite. Je ne m’attendais pas à ce que vous soyez capables de… d’en tuer autant.
— Ahaha. C’est moi la responsable, mais celui qui a tué le boss est juste là.

Emy me passe la main dans le dos tandis que Thif me regarde tout en étant surpris et circonspect.

Voilà ça recommence on va me refaire le coup du « tu es vraiment fort ? Parce que tu n’en as pas l’air » que je me coltine depuis le pied de la tour. Léon ne l’a pas cru et il n’y a plus de Léon. Les guerriers se sont moqués de moi ouvertement à plusieurs reprises et maintenant il n’y a plus de guerrier. Je n’ai pas assez prouvé que j’étais quelqu’un de capable, j’imagine. Enfin bref, l’alcool va me rendre mauvais si je continue à ruminer comme ça et je regarde la plage tout en prenant la parole.

— Le chef se nommait Icare. Si tu sais quelque chose sur lui et sa bande, tu ferais mieux de le dire. Il a un peu parlé avant de mourir, tu sais ?
— Qu. Qu’est-ce qu’il a dit ?
— Qu’est-ce qu’il aurait pu dire vieil homme ?

Vu le temps qu’il prend à répondre, j’ai l’impression que je n’aurai pas de réponse. Thif flaire sans doute le bluff de ma part. Je n’en ai pas envie, mais s’il continue à rester muet on va devoir passer à la torture, ce n’est pas un choix facile, mais il suffit de regarder l’état du village pour comprendre que c’est nécessaire. Qui d’autre à l’avenir voudra capturer Thif ? Combien est ce qu’ils feront de victimes la prochaine fois ? Il place un danger considérable sur les gens qui l’entourent et…

«  Très bien. Je vais parler. Vu ce qu’il vient de se produire, vous méritez bien d’avoir quelques réponses. Dans mon pays au Nord, je suis le frère du Roi, mais des grimpeurs sont arrivés et ont commencé à semer le chaos jusqu’à ce que finalement mon frère soit tué et remplacé par un grimpeur sur le trône. J’ai fui afin de trouver des alliés qui pourront m’aider à reprendre le contrôle du pays, mais les grimpeurs ont flairé quelque chose et ont envoyé une flotte à ma poursuite. Entre l’attaque du navire et la tempête, j’ai perdu mon équipage et mes hommes. C’est là que vous êtes arrivés. »

Thif a du mal à parler de tout ça et je ne sais pas si c’est parce que c’est difficile pour lui ou parce qu’il invente. Les deux sont possibles, mais j’ai peur que ce soit de la deuxième réponse dont il s’agit… Emy me regarde en soupirant et je reprends une gorgée d’alcool avant de soupirer à mon tour.

— Tu te rends compte que tu es responsable de l’attaque du village du coup ? Je veux bien être forte, mais même pour moi ça fait beaucoup de monde.
— Je ne m’attendais pas à ce qu’ils attaquent un village comme ça ! C’est moi qu’ils voulaient, pas eux.
— Tel que je le vois, ils ont dû se dire que vu notre empressement à entrer dans le port, on devait connaître l’endroit et qu’il y aurait peut-être même de la résistance. L’attaque était juste faite pour contrer toute forme de résistance ou d’embuscade. Donc tu peux aller t’excuser auprès des villageois en espérant qu’ils ne veuillent pas te tuer immédiatement.
— … Comment est-ce que vous avez fait pour tuer de autant de guerriers ? Vous n’êtes que deux, mais vous avez réussi à mettre en échec toute une armée. Même pour des grimpeurs ce genre de chose est impossible.

Je décide de me lever et de m’éloigner puisque Thif a décidé de changer de sujet.

Si tout ce qui l’intéresse après s’être caché plusieurs heures c’est de savoir comment on a fait pour survivre et gagner contre autant de monde, je préfère partir de là. Les villageois sont encore en train de pleurer leurs morts et lui à juste envie de savoir si nous sommes vraiment aussi forts que ça. Après avoir vu ce qui s’est produit dans le village pendant le bombardement et avant la charge, je n’ai pas spécialement envie de faire preuve de vanité en lui expliquant.

J’ai une partie des réponses que je voulais, mais quelque chose me dérange chez Thif. C’est peut-être que sa façon de penser est trop différente de la mienne. Nous ne sommes pas du même monde et ça explique peut-être qu’il ne soit pas choqué par une telle attaque et que je puisse l’être. Malgré l’alcool, c’est difficile de ne pas penser à tous les morts qu’il y a eu ici et j’ai vraiment envie de partir d’ici sans me retourner.

Le pied de la tour me manque et après l’attaque j’y retournerais sans hésiter si je n’avais pas la menace de Charade et de sa guilde qui plane sur moi.
J’imagine que j’y suis en tout cas. Dans mon premier monde. Plein d’aventures et de mystères apparemment.
Quoi de mieux pour commencer qu’un raid.

J’espère que ce sera la dernière fois que ça arrivera, mais s’il faut reprendre le pouvoir dans le pays de Thif, je pense que des choses bien pires se produiront.

La pluie finit par s’arrêter alors que les maisons continuent de brûler doucement.

Je sors du village et longe la plage pour me trouver un coin tranquille. Emy a décidé de m’accompagner plutôt que de rester avec Thif et elle me rattrape alors que je m’assois dans le sable.

Les cendres, l’humidité, le sang et les différentes odeurs. J’ai besoin de retirer tout ça de mon corps et si ce n’est pas pour l’hygiène, c’est au moins pour mon mental que j’en ai besoin.

Je laisse mes vêtements ainsi que mon équipement avec mes animaux dans le sable et en sous-vêtement je décide de rentrer dans l’eau lentement.
Je m’enfonce dans l’eau en passant en dessous des quelques vagues qui me tombent dessus. Combien de temps est ce que ça fait depuis la dernière fois où j’ai pu me baigner comme ça ?

Je n’avais pas le temps et c’était loin sur terre, mais dans la tour c’est le genre de chose que je peux finalement faire sans me poser la question.

Je me frotte le visage et la peau avant de m’immerger complètement pour ensuite m’éloigner du rivage en faisant de la brasse coulée. La température est plutôt agréable vu le climat et même si l’eau est un peu fraîche ça me fait du bien. Je remonte à la surface et regarde le ciel en faisant la planche tandis que le vent me souffle sur le visage.

« Attention !!! »

Emy derrière moi a sauté depuis la plage jusqu’à moi et me coule quelques instants. Je reviens à la surface en reprenant mon souffle et en l’arrosant en représailles.

— Tu pouvais entrer normalement dans l’eau si tu avais envie de te baigner. Ça t’évitera de manquer de me tuer…
— Pff, ne fais pas ton vieux comme ça. Et puis moi aussi j’avais besoin de me nettoyer. Le marteau c’est salissant surtout quand tu t’en sers sur une période prolongée comme je viens de le faire.
— Tant que tu ne t’en sers pas sur moi….
— …. Sérieusement ? Je ne suis pas un monstre non plus. Et puis ça me servirait à quoi de te mettre un coup sur la tête ?
— À rien et continue de le penser. Et puis tu as vu le visage des guerriers sur la plage ? Honnêtement, je n’ai pas l’impression qu’il te voyait comme une humaine quand tu as commencé à suggérer qu’ils feraient mieux de partir à coup de marteau.
— Il fallait bien que fasse quelque chose après que tu aies résolu la situation en deux temps, trois mouvements. Pourquoi est-ce que je me fatigue si tu es capable de faire quelque chose comme ça ? Moi j’ai été frappée par des éclairs, ok ? Un peu de considération pour la frêle jeune fille que je suis… Mon corps est recouvert de marques maintenant. J’en ai une qui va de là jusqu’à mes pieds — j’en ai une là, ou encore là. !
— Woh ! Pas obligé de tout me montrer non plus.
— … Est-ce que tu insinues que tu n’as pas envie de regarder mon corps ? Je ne suis pas assez jolie pour toi c’est ça ? Mmmh ???
— Euh…
— …. Je suis une fille sensible, fais attention à ce que tu dis la prochaine fois.

Emy me regarde alors en souriant et en riant doucement comme une enfant.

— Contente que tu sois là avec moi Nomad.
— Moi aussi Emy. Moi aussi.

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10 thoughts on “Tour Des Mondes – Chapitre 107

  1. Merci pour le chapitre ( c’est meugnon comment elle le réconforte <3 )
    ''j'espère que ce sera la dernière que ça arrivera'' (t'as oublié le mot ''fois'')
    ''Vous mérités'' (Erreur de conjugaison ^^)

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