NORDEN – Chapitre 152

Chapitre 152 – Rancune et revanche

La pluie battait son plein, les gouttes claquaient contre les parois de la lucarne devant laquelle d’épais barreaux de fers étaient fixés. Ambre était allongée sur le sol, terrassée par le flot de révélations qu’elle venait d’apprendre. Les yeux éteints, elle gisait comme morte, étendue de tout son long sur le plancher glacé de cette pièce capitonnée. Son front bossu et violacé la lançait. Voilà maintenant plusieurs heures qu’elle était enfermée aux côtés du capitaine, menotté auprès d’elle. Le dos appuyé contre le mur et les jambes repliées contre son torse, il contemplait devant lui, jetant par moments des œillades en sa direction. Ils étaient seuls, enchaînés aux barreaux du radiateur en fonte.

— Rassure-toi minette, il ne t’arrivera rien. Ton Baron viendra et se rendra bien avant qu’ils ne décident ce qu’il adviendra de ta personne. Dans une poignée d’heures, tu seras saine et sauve auprès de ta tante et de ton grand-père.

Il s’arrêta, lui laissant le temps d’assimiler ses propos. Malgré son absence de réponse, il savait qu’elle l’écoutait.

— Pour ta gouverne, j’ai menti tout à l’heure. Un petit mensonge de trois fois rien pour obtenir grâce à leurs yeux et surtout espérer avoir une place de choix à l’avenir au sein de l’Hydre qui je l’espère tiendra les rênes du pouvoir et évincera le maire actuel. Ne m’en veux pas, mais je déteste ton futur mari. Je souhaite le voir mort et humilié. Je veux lui infliger une petite revanche pour l’arrestation portée à mon encontre il y a dix ans. Dommage que Dieter et ses partisans n’aient absolument rien cru de mes dires, de vrais salopards bornés et obstinés malgré leurs fonctions. Je dois bien les respecter cela dit, il faut savoir caresser le pouvoir dans le sens du poil pour espérer une place alléchante où prospérer. Je me serais délecté de les savoir avides d’en apprendre davantage sur les gouvernants de Norden. C’est à croire que je ne suis pas assez intimidant à leurs yeux.

Il soupira, tapota la cuisse de la jeune femme et ajouta d’un ton mielleux.

— Il n’y a que ta mère qui a su courber son échine devant moi et mes deux amis. La seule désespérée prête à tout pour te sauver. Si tu savais tout ce qu’on lui a infligé et comment elle s’y est pliée de bonne grâce, c’en était fortement touchant. Une beauté comme elle, difficile de voir cette blonde élancée aux yeux bleus et aux manières si nobles être d’origine noréenne au premier abord. Elle aura été mon meilleur coup. Soit fière car à l’instar de ton homme, j’ai eu pas mal de minettes entre les doigts, privilège de mon statut. Dire que ta sœur était dans son ventre, une chance qu’elle ne conservera aucun souvenir de cela.

Il ricana puis se tut, se délectant de ce souvenir. En tendant l’oreille, il entendit son interlocutrice grogner.

— La fille de Jörmungand, qui l’aurait cru ! Dire que le Serpent, ton grand-père, tient également à toi. Autrement que comme un vulgaire pion j’entends. Jamais il ne supporterait les moindres sévices portés à ton encombre, qu’importe que tu sois apte à enfanter ou non. Ça me rebute de te le dire, mais sache que ta vie compte plus que celle de n’importe quel citoyen à l’heure actuelle. Tu es notre ultime atout, la seule qui peut nous offrir une alliance durable entre Charité et Norden. Alors ne fais pas de bêtise et surtout même si tu en as la capacité une fois la drogue dissipée, ne te transforme pas si tu ne veux pas que tous les habitants de l’île meurent par ta faute ! Y compris ta sœur adorée ! Quel sombre héritage que le Féros, un véritable fléau quand on sait ce que deviennent certains porteurs, femelles comprises. Quant à l’empereur, sache que…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que des bruits de pas, suivis des cliquetis métalliques d’une clé s’engouffrant dans une serrure, se firent entendre. La porte s’ouvrit et Alastair ainsi que deux de ses hommes entrèrent.

— Aller… il est temps de passer aux choses sérieuses, trancha-t-il, les poings fermés.

Sans la moindre délicatesse, le marquis libéra Ambre et la prit par le collier. Il la traîna dans ces couloirs lugubres. En arrivant dans la salle principale, le visage de la captive se décomposa en voyant Alexander assis devant le bureau, le teint blême et la mine déplorable. L’homme était éreinté d’avoir encaissé tant de brimades depuis qu’il s’était rendu à la mairie voilà plus de trois heures. Il tenait entre ses doigts un stylographe qu’il lâcha sur le bureau après avoir signé le document tant convoité par ses adversaires. Puis il se leva pour aller la rejoindre. Sans un mot, il s’avança vers elle puis, n’ayant que faire des regards méprisants d’autrui, ouvrit les bras et l’enlaça. Avec des gestes brusques, il la plaqua contre lui et la serra de tout son être, manquant de l’étouffer. Ambre accueillit son élan avec une sensation de bonheur mêlée d’angoisse.

— Diantre que c’est écœurant ! pesta Alastair.

Alexander défit son étreinte et plaça ses mains sur les joues de sa compagne. Il la contempla de ses yeux sombres et humides.

— Vous l’avez muselée ? s’étrangla-t-il, scandalisé de la voir traitée comme un animal.

— Rectification mon cher, ricana Léandre, c’est notre dévoué serviteur Armand qui la lui a mise. Je trouve qu’il a bon goût, cela convient parfaitement à ta petite chienne.

— Sale enflure !

Perdant contenance, Alexander se rua sur lui et le projeta au sol. Il n’eut pas le temps de lui asséner un coup au visage qu’il fut frappé au crâne et mis à terre par Éric qui se positionna derrière lui et le redressa, lui maintenant solidement les bras. Léandre se leva à son tour et commença à s’acharner sur lui, le rouant de coups au ventre sans retenir son élan tant il éprouvait une immense jouissance au fait de pouvoir enfin se défouler sur son rival déchu. Le Baron, courbé vers l’avant, gémissait.

— Arrêtez ! parvint à crier Ambre, entravée par Alastair.

Les muscles fébriles, elle tentait de se défaire de son emprise. Impuissante, elle regardait avec effroi Alexander encaisser les impacts portés par son adversaire.

— Libérez-le, sales bâtards ! cracha-t-elle en voyant son homme s’avachir de plus en plus au sol, plié en deux.

Désireux de rester digne et de leur tenir tête, Alexander ne quittait pas son bourreau des yeux. À cette vision de défiance, Léandre affichait un sourire satisfait.

— Je vois que ta nouvelle chienne est aussi téméraire que la première. Prête à tout pour protéger son petit Baron adoré. C’est fascinant de voir ô combien elles deviennent éperdues de ta personne. C’est étrange, j’ai l’impression que nous avions déjà vécu cette scène familière tous les deux.

Il décrocha son regard de celui du maire pour venir se poser dans celui de la Féros qui grognait et montrait les dents. L’éclat de ses yeux ambrés brillait avec intensité.

— Calme-toi, Ambre ! marmonna Alexander, le souffle court. Ne succombe pas et maîtrise-toi !

Mais la jeune femme, dans sa fureur, ne cessait de débiter un nombre incalculable de répliques acerbes.

— C’est amusant, n’est-ce pas ? ricana Léandre. Crois-tu que celle-ci aussi va se transformer ? Te laisser seul et perdu ? Va-t-elle succomber à cet interdit pour te sauver toi ? Ou allons-nous être cruels et la laisser te voir mourir sous ses yeux, car ta chienne sait pertinemment qu’elle ne doit pas se transformer, ne serait-ce que pour sauver sa sœur.

— La ferme Léandre !

— Notre cher petit Alexander va à nouveau être abandonné par sa noréenne de compagnie ? C’est cruel de les voir toutes changer de forme, un privilège que tu ne possèdes pas malheureusement.

Interloquée par ce discours, Ambre s’arrêta de parler et scruta l’homme avec intérêt.

— Allez vas-y ma grande, laisse-toi aller et viens nous montrer un peu l’étendue de ta force. Va défendre ton petit Baron qui a tant besoin de toi.

— Arrête Léandre !

— Quoi ? Tu ne veux pas laisser ta future épouse décider de son sort ? Tu l’as bien laissé à ta chère Désirée à l’époque ! Si j’ai bien compris c’était elle qui avait choisi de se transformer et de t’abandonner à jamais en prenant sa forme de bâtarde qui lui allait si bien !

Alexander blêmit. Ses muscles tremblaient.

— Oh oh ! Voilà que j’ai touché un point sensible ! s’exclama l’avocat en se frottant les mains.

Il s’accroupit et se mit à hauteur de son rival. Puis il posa une main sur son épaule et la tapota, portant son regard sur Ambre toujours solidement maintenue par Alastair avec qui il échangea un sourire empli de satisfaction.

— Je présume au vu de la tête que ta concubine affiche, que t’as pas dû lui dire grand-chose là-dessus ? C’est drôle parce que nous tous ici présents étions témoins de ta jolie histoire contre nature que tu tentes de reproduire à nouv…

— Que voulez-vous dire par là ? feula-t-elle.

Ambre fulminait et ne le quittait pas du regard.

— Juste la suite de la petite conversation que nous avions eue à l’Ambassade la dernière fois, expliqua-t-il en posant une main dans les cheveux ébène de son rival, celle que tu as surprise et dont je présume au vu de la tête que tu tires, que tu n’as pas dû comprendre grand-chose. En même temps c’est normal au vu de votre cerveau si limité.

À cette remarque, Éric de Malherbes rit aux éclats. Alastair et son père paraissaient eux aussi se délecter de la torture psychologique dont faisait preuve Léandre et admiraient le spectacle avec un amusement contenu.

— C’est qu’il en a vécu des histoires dans sa jeunesse notre cher Alexander, poursuivit Léandre d’une voix doucereuse, il en a eu des femmes dans sa couche malgré son physique ingrat, de belles aranéennes de haut rang en plus ! Il savait y faire, combien en as-tu eu entre les doigts d’ailleurs. Une bonne cinquantaine ? Plus peut-être ?

Pour toute réponse le Baron grogna.

— On va tabler sur cinquante. Soit près des deux tiers des femmes nobles de notre génération. Je pense que je ne suis pas bien loin de la vérité.

Il lui tapota dans le dos tout en regardant Ambre, un sourire carnassier affiché sur son visage.

— Sacré coquin, n’est-ce pas ? Et crois-tu qu’avec toutes ces belles femmes à disposition, y compris ma charmante épouse Laurianne qui lui était promise, il porta son dévolu sur sa domestique Désirée. Ah Désirée ! ta fidèle comparse de toujours. Je me suis toujours demandé ce que tu pouvais lui trouver autant physiquement que mentalement. On ne pouvait pas dire qu’elle avait inventé l’eau chaude celle-ci ! Et quel physique ingrat, tout l’héritage des traits du peuple de Hrafn était en elle. Remarque, vous faisiez un joli couple de laiderons plus jeunes. Avant que la puberté ne t’offre cette apparence de bellâtre que tu entretiens si bien. Et ce, pour masquer les atrocités que ton père a commises sur ton corps ! Comme si nous étions tous dupes et avions oublié à quoi tu ressembles sous cette couche de vêtements !

Alexander, assommé par ses propos cinglants débités à la chaîne, demeurait coi, incapable de décrocher le moindre son. Le teint livide, Ambre les observait.

— C’est une chance que ta nouvelle acolyte ne t’ait pas repoussé car je présume, au vu de comment elle ne semble pas surprise de savoir ton corps décharné, que vous avez dû vous amuser à autre chose qu’à des jeux de cartes. On s’est toujours demandé d’où tu nous l’avais sorti celle-là ! Puis quand on a su qu’elle était l’ancienne concubine de ton fils, on a guère été étonné. Ça nous a d’ailleurs bien fait rire que tu te sois abaissé à l’engager afin de la courtiser. Quel petit filou. En plus de vouloir soudoyer le peuple, il fallait que tu te tapes une gamine de l’âge de ta fille !

— Je t’interdis de parler de Pauline en ces termes ! cria Alexander, excédé.

— Ah oui, Pauline ! L’enfant de ta bâtarde mort-né. On dit que c’est Ulrich qui l’a tuée alors que tu t’apprêtais à t’enfuir avec ta domestique et sa famille pour ton nouveau domaine à la campagne. Ton patriarche n’a pas dû approuver votre union et encore moins le fruit de tes entrailles qui grossissait dans les flancs de ton ex-chienne.

— La ferme, Léandre !

— Oh, mais tu t’emportes bien vite ! Regarde, ta charmante future épouse est toute calme contrairement à toi ! Fais preuve d’un peu de maîtrise bon sang ! Je te pensais doué en diplomatie.

Ambre gisait comme pétrifiée. Léandre profita de son hébétement pour se redresser et se mettre face à elle. D’un geste vif, il lui agrippa la mâchoire et releva sa tête afin qu’elle le regarde droit dans les yeux. Le cuivré de ses prunelles se noyait dans les iris bleus de son adversaire.

— Relâchez-le ! feula-t-elle.

— Tu vas faire quoi, dis-moi ? Tu vas toi aussi te métamorphoser ? Devenir le mignon petit chat épinglé sur ta poitrine et me griffer ? Tu vas abandonner ta forme pour tenter de sauver ton homme comme l’ont fait ses deux précédentes épouses ? Tu sais, il y est habitué et comme on dit, jamais deux sans trois.

— Laisse-la Léandre ! Par pitié ne la touche pas !

— Oh oh ! s’exclama le marquis, voilà que tu me supplies à présent ! Je ne sais pas si je dois trouver ça adorable ou au contraire pitoyable.

Cette remarque décrocha un rire général, tous prenaient plaisir à observer ce spectacle burlesque.

— Si tu tiens à ta vie ainsi qu’à celle des tiens et de notre peuple je te conseille de ne pas l’énerver davantage !

— Balivernes ! s’esclaffa-t-il. Tu veux seulement nous effrayer afin qu’on l’épargne. Toi aussi tu vas me dire qu’elle est la fille d’une entité mystique âgée de plusieurs siècles, un serpent marin de deux kilomètres de long de surcroît ? Tu vas me dire qu’à présent, toi le grand Alexander von Tassle, notre maire élu à la majorité il y a trois ans, crois en ces sornettes ? Que Norden est régie par un dieu cerf qui viendra vous sauver dans peu de temps ? Arrivant comme par hasard alors que personne ne l’a jamais vu ?

Alexander écarquilla les yeux, les justifications du capitaine ne les avaient-elles pas convaincus ? Après tout, s’il n’avait jamais côtoyé les Shamans ou les Féros, lui aussi aurait été sceptique quant à l’existence de ces entités ainsi que sur ces informations au sujet des noréens qu’il a pendant si longtemps qualifiées de folklore.

— Tu ne trouves rien à objecter ? Tu sais pertinemment ce qu’il en est. Et tu ne vas pas me dire que tu t’abaisses à croire les dires de ta chienne dans le but de pouvoir la séduire afin de la fourrer quand ça te chante.

— T’es profondément ignoble ! grogna le Baron. T’es aussi pourri que ton beau-père et ton beau-frère ! J’espère vivement que vous finirez comme Laurent. Je prendrai un immense plaisir à jeter vos corps à l’océan afin que le Serpent se délecte de vos carcasses et que vos dépouilles ne souillent le sol de notre belle île !

Pour corriger l’affront, Léandre s’avança vers son rival et asséna un puissant coup de genou dans le ventre. Alexander se plia davantage en avant, le visage n’étant plus qu’à quelques centimètres du sol.

— Alors mon cher Alexander, fit Léandre en posant son pied au niveau des épaules afin de le plaquer sur le plancher, on fait moins le malin. Je ne sais pas si tu t’en rends compte mais tu n’es pas tout à fait en mesure de pouvoir négocier présentement. À moins que tu ne comptes aggraver ton cas et croies-moi que rien ne me ferait plus plaisir que de passer ma soirée à m’acharner sur toi.

Incapable de lutter contre la charge de Léandre, Alexander céda et s’écroula. Victorieux, le rival posa son soulier au niveau de sa nuque et appuya légèrement, manquant de l’étouffer.

— Relâchez-le ! hurla Ambre, bouillonnante de rage.

Pour raffermir son emprise, Alastair tira sur la chaîne et lui donna un vif coup de pied à l’arrière des genoux afin de la renverser. Une fois sa victime à terre, il se positionna derrière elle, lui écrasa les jambes puis tira sur le collier ce qui la fit se courber en arrière et lui coupa net la respiration. Suffocante comme une anguille hors de l’eau, elle gigotait, tentant de faire entrer un filet d’air dans ses poumons.

— Alors ma grande qu’attends-tu pour nous montrer tes talents de transformation ? Je pensais que tu ferais tout pour sauver ton futur petit mari.

— Si je me transforme. Je prendrais un malin plaisir à vous tuer. Vous tous sans exception !

— Oh, mais nous n’attendons que ça ma chère ! Montre-nous à quel point tu es une grande fille.

— Ambre, ne fais pas…

Pour faire taire son rival, Léandre pressa davantage sur sa nuque. Le Baron s’étouffa et toussa.

— Coucher le chien ! C’est la chatte qui nous intéresse présentement, alors ne lui vole pas la vedette.

Les larmes aux yeux devant la détresse de son amant, Ambre déglutit péniblement.

— Jamais je ne changerai de forme sale bâtard ! Plutôt crever que de vous accorder ce plaisir ! Je suis peut-être une chatte à vos yeux mais jamais je ne m’abaisserai à bouffer une vermine avariée de votre espèce !

L’assemblée rit devant cette audace. Pour la faire taire, Alastair la frappa avec violence au niveau de la tempe. Ambre ferma les yeux et couina tant la douleur était lancinante. Le coup brutal, reçu au même endroit que le précédent, la fit vaciller. Lorsqu’elle rouvrit les yeux de multiples points blancs et noirs ornaient sa vue et l’espace semblait en perpétuel mouvement.

— Essaie encore de nous insulter et crois-moi que tu ne t’en relèveras pas ! fulmina-t-il.

— Comme si j’allais me gêner !

Il s’apprêtait à la frapper à nouveau lorsque le marquis von Dorff père, resté muet depuis un temps, prit la parole.

— Il suffit mon fils, rien ne sert de vous acharner sur elle ! La situation devient plus pitoyable qu’autre chose et je ne souhaiterais pas commencer mon mandat avec la mort de deux personnes dans mon bureau.

Il baissa la tête et porta son regard sur la noréenne.

— Vous ne manquez pas de cran, noréenne. Il nous faut le reconnaître. Mais, s’il vous plaît Léandre veuillez achever cela. Veuillez nous débarrasser de cet énergumène, je vous prie, monsieur le Baron est en train de perdre toute dignité et je n’aime guère m’apitoyer. Je souhaite à présent travailler convenablement et rédiger une annonce au peuple pour officialiser la passation de pouvoir. Et je tiens à ce que monsieur le Baron soit au sommet de ses moyens pour son allocution publique à venir.

À l’entente de claquements de sabots et de cahots de roues sur le parvis, Éric se leva et se dirigea vers la fenêtre.

— Dois-je comprendre que vous m’autorisez à exécuter la noréenne, père ? demanda Alastair qui resserra son emprise autour du cou de la jeune femme. Puis-je l’exécuter de ce pas ? Si ce qui est dit à son sujet est vrai, mieux vaut, par prévention, nous débarrasser d’un spécimen comme elle.

Le marquis resta muet un certain temps.

— Inutile, cela ne ferait qu’appuyer les théories sur ces élucubrations. Enfermez-la également. Nous trouverons un endroit pour les enfermer elle et monsieur le Baron ainsi que ce Maspero en attendant que la maison d’arrêt soit de nouveau opérationnelle. Au moins auront-ils le plaisir de se retrouver ensemble avant leur condamnation éventuelle par le tribunal.

— Vous êtes bien magnanime père ! En quoi méritent-ils un traitement de faveur ?

— Tout simplement parce que nous sommes des hommes de loi mon fils. Et que monsieur le Baron s’est rendu sans réticence afin de protéger cette femme. Ce serait une honte pour mon image et mon égo de les achever alors qu’ils ne représentent plus aucune menace, lui comme elle.

Alastair pesta mais, ne voulant pas aller à l’encontre des décisions de son père, s’excusa puis s’inclina respectueusement devant lui. Il s’apprêtait à conduire leurs prisonniers dans la cellule lorsque Éric, présent devant la fenêtre et contemplant la place en contrebas, s’exclama :

— Bien, bien ! Ça part exemple, mais voilà que nous allons avoir une petite visite !

Sans attendre, Léandre accourut vers lui. Il étudia la scène puis ricana à la vue des hommes armés qui s’apprêtaient à pénétrer dans l’édifice en compagnie de leurs huit nouveaux détenus, mis sous fer.

— Oh oh ! Effectivement ! Je ne crois pas que nous puissions rêver mieux messieurs ! fit-il en se frottant les mains.

Avant de quitter la pièce, Ambre accorda un regard désolé à Alexander, consciente d’avoir été en partie à l’origine de cet échec. La voyant troublée, ne voulant pas la faire culpabiliser davantage, il hocha la tête et lui adressa un subtil sourire ; conscient qu’il serait probablement sauf et auprès d’elle dans peu de temps, qu’importe l’humiliation et la torture qu’il allait subir avant cela.

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