NORDEN – Chapitre 44

Chapitre 44 – Complicité

Alexander était en train d’écrire lorsque Désirée entra. Elle tenait entre ses mains un plateau en argent sur lequel une tasse de thé fumante était disposée et dont les vapeurs s’étendaient dans l’atmosphère, exhalant un enivrant parfum de mûre. Elle le posa sur son bureau et, avec son amabilité habituelle, caressa l’épaule de son maître. Ce dernier était emmitouflé dans un pull en laine épaisse qui lui remontait jusqu’au cou. Elle rapprocha sa tête de la sienne, allant jusqu’à sentir son souffle tiède, et regarda ce qu’il écrivait avec un vif intérêt. L’écriture du maître était belle et lisible, une plume souple, légère, à l’instar des gens instruits.

La pièce était plongée dans la semi-pénombre où seul le halo diaphane de la flammèche rougeoyante d’un chandelier éclairait le bureau. Aucun bruit n’était perceptible hormis le tintement de l’horloge et les grattements de la pointe de la plume contre le papier vélin. Dehors, la neige tombait en abondance, auréolant l’ensemble du domaine maculé de blanc d’une clarté grisâtre. Les flocons s’amoncelaient sur les branches nues aux couleurs ternies et venaient se déposer sur le rebord de la vitre. L’air froid envahissait la pièce humide dépourvue de chauffage. La seule source de chaleur émanait de la bassinoire placée sous les diverses couches de draps et couvertures.

— Tu n’as rien de mieux à faire, fouineuse ? fit-il, mesquin, en la dévisageant du coin de l’œil.

Elle pouffa puis lui chuchota à l’oreille.

— Je viens de finir mon service, cher monsieur. Je voulais savoir si tu allais mieux. Tu n’as pas dit grand-chose de la soirée alors j’avais peur que ton père t’ait encore molesté. Je voulais savoir si tu n’avais besoin de rien. Il fait encore plus froid dans ta chambre que dans la mienne. Tu devrais dormir dans le salon où tu aurais bien plus chaud avec la cheminée.

— Je vais bien, ne t’en fais pas, la rassura-t-il en posant son porte-plume. Et je suis bien plus tranquille ici plutôt qu’en bas. Je n’aime pas entendre les rats couiner.

Il se leva, se dressa devant elle et l’embrassa langoureusement. Désirée épousa son mouvement et vint se pelotonner contre lui, avide de caresses et de chaleur corporelle. Elle grelottait et claquait des dents.

— Toi en revanche tu m’as manqué, ajouta-t-il en effectuant d’énergiques va-et-vient le long de son dos. Ma parole, tu es glacée ma friponne ! Ta robe est trempée !

— Je reviens des jardins, j’ai été cherché du bois supplémentaire. Si tu te dépêches tu pourras voir mes empreintes et l’endroit où j’ai fait mon vol plané. Mon pied a buté contre une racine, je suis tombée à plat ventre sur la neige.

Les paumes désormais chaudes, il fit pianoter ses doigts sur sa taille. Il retroussa sa robe noire et y engouffra ses mains afin de palper tendrement cette chair ferme et duveteuse. À ce geste, devenu coutumier depuis des mois, il sentit le désir poindre en lui. Désirée émit un pouffement et faufila ses paumes gelées sous son pull, lui arrachant un gémissement aigu dépourvu de dignité. Il frissonna et la fit basculer sur le lit. En hâte, il ôta son pull, dévoilant un torse tacheté de bleus et couturé de cicatrices, sur lequel la marque des crocs était visible. Puis il défit ses chaussures et se plaça au-dessus d’elle, la dominant de toute sa masse.

— Tu crois que c’est raisonnable ? demanda-t-elle, les yeux rieurs en caressant les deux cuisses qui la prenaient en tenaille. Je t’ai croisé tout à l’heure à Iriden alors que je faisais les courses avec maman et j’ai vu que tu étais une nouvelle fois en très belle compagnie.

— Ma petite servante aranoréenne serait-elle jalouse de la merveilleuse marquise Laurianne von Dorff ? la nargua-il.

— Pas du tout ! objecta-t-elle en faisant mine d’être offusquée. Je sais très bien à quoi je dois m’en tenir avec toi.

Après un énième baiser, le jeune homme commença à la déshabiller, grisé par son parfum floral et par sa silhouette charnue qui n’appelait qu’à être étreinte. Les attaches de sa robe ôtées et le laçage du tablier délié, il désenfila l’étoffe qu’il laissa choir. L’habit retomba en cascade sur le tapis, dévoilant ce corps tant convoité. Il grogna comme un ours et palpa ses seins aux tétons dressés par le froid. Titillée par ses chatouillements, elle gloussa et fit onduler ses hanches afin de l’émoustiller davantage.

— C’est plutôt pour elle que je m’inquiète ! De savoir ô combien monsieur le Baron se joue d’elle en s’acoquinant le soir venu avec une simple domestique.

— Hélas, je n’ai pas trouvé de partenaire qui puisse s’adonner avec autant de passion à ce jeu-là que toi, ma chère Désirée.

Enivré de désir, il plaqua ses lèvres contre les siennes et fit courir ses doigts sur chaque parcelle de son corps. Puis il enfonça sa main contre la chair tendre de sa fesse et laissa échapper un petit rire.

— Les aranéennes sont tellement insipides et passent leur temps à faire des manières ! Avec toi tout est si simple.

— Quel si beau compliment, monsieur ! J’ose espérer que je puisse en détrôner quelques-unes sur ce terrain-là.

Elle glissa sa main sous son pantalon et empoigna son sexe qu’elle massa avec douceur. Les membres raidis, Alexander gémit et tressaillis. Elle le couvrit de baisers et accéléra ses mouvements de poignets, ressentant ses tremblements s’intensifier au fur et à mesure qu’elle pratiquait ses massages sensuels.

— Il est pourtant fichtrement sincère ! Tu es la reine en la matière !

Après un soupir de désir, il chuchota quelques mots à son oreille qu’il parvenait difficilement à articuler sous le coup du plaisir que lui procuraient ses gestes habiles.

— Puis-je te demander de faire quelque chose pour moi ?

— Que veux-tu ?

— Je voudrais tester une nouvelle position avec toi.

— Essaie toujours.

— Pourrais-tu te mettre à quatre pattes devant moi et aboyer lorsque je serai derrière toi pour te prendre par un chemin que je n’ai jusqu’ici jamais eu l’honneur d’explorer ? J’aimerais t’entendre gémir de la sorte.

Surprise par cette demande, elle arrêta son geste et se détacha de lui. Alexander eut un rictus et fronça les sourcils.

— Qu’y a-t-il ?

— C’est que… commença-t-elle timidement, c’est un peu dégradant ce que tu me demandes là, non ?

Il posa une main sur sa joue et la caressa avec douceur.

— Ma chère Désirée, crois-tu vraiment, au vu de toute l’admiration que je te porte, que je fasse ça uniquement pour t’humilier ?

Silencieuse et la mine renfrognée, elle haussa les épaules. Lentement, il porta la main de sa partenaire à sa bouche et y déposa un baiser.

— Tu es bien la seule à qui je peux demander pareille chose sans risquer d’être pris pour un détraqué. Car je sais que tu ne me jugeras jamais là-dessus.

— Peut-être… répondit-elle, songeuse.

— Et puis, ricana-t-il, il n’y a rien de dégradant à voir une jolie petite chienne aboyer lorsqu’elle reçoit les tendresses de son adorable maître, non ?

— M’appelle pas comme ça ! rétorqua-t-elle vivement après un pouffement. J’ai horreur quand tu uses de mon animal-totem pour me désigner.

— Tu préférais quand je t’appelais ma levrette ?

À ce souvenir, elle pouffa à nouveau et lui accorda une chiquenaude sur l’épaule tandis qu’il embrassait sa main, remontant progressivement le long de son avant-bras.

— Et si jamais tu exiges une contrepartie pour cela, alors je veux bien te promettre en retour d’exercer quelque chose que tu souhaites. Je t’en donne ma parole.

Elle le regarda avec un certain amusement.

— Tout ce que je souhaite ? demanda-t-elle, mesquine.

Il lui adressa un sourire si radieux qu’elle succomba une nouvelle fois au charme de ce beau mâle qu’elle côtoyait quotidiennement. Le jeune homme était devenu fort attirant depuis ces derniers mois ; ayant quitté définitivement les traits brouillons et ingrats de la jeunesse pour acquérir un visage et une silhouette plus virile. Sa carrure s’était étoffée. Dorénavant, ses épaules solides affinaient sa taille élancée. Son visage anciennement crispé avait à présent les traits détendus et ses yeux sombres rutilaient. Ses longs cheveux noir-ébène, d’ordinaire ternes, étaient redevenus lisses et soyeux. Il soignait son apparence, pesait chacun de ses mots et mesurait le moindre de ses gestes lorsqu’il était en société.

Auprès de Désirée, il avait retrouvé confiance en lui, s’appuyant sur elle afin qu’elle l’aide à remonter la pente et qu’il reprenne le contrôle de sa vie meurtrie. Leurs jeux intimes, pratiqués en toute innocence, avaient su lui redonner le goût des plaisirs simples ; la découverte de cette vraie sensualité si longuement refoulée pour l’un comme pour l’autre à l’égard de leurs conditions respectives. Il était son maître et elle sa domestique. Pourtant, lors de ces instants, à aucun moment il ne semblait user de son statut pour lui soutirer des faveurs. Ils étaient égaux, deux jeunes avides d’attention et d’étreintes. Ces moments si tendres, sans l’ombre d’animosité ou de malaise, étaient ce qu’ils chérissaient le plus. Et ils attendaient sagement le soir venu pour s’y adonner en toute discrétion.

Les seules personnes au courant de ces jeux interdits étaient Ambroise, devenu le confident d’Alexander depuis que sa sœur s’acoquinait avec leur jeune maître, et bien sûr, Pieter et Séverine qui suivaient leur manège avec amertume. Ils veillaient au grain, les avertissant lorsque le grand-maître traînait dans les parages ; une pointe de tristesse et d’angoisse dans le regard de peur qu’ils soient un jour démasqués. Tous étaient cependant heureux que le jeune Baron daigne reprendre sa vie en main et défier de plus en plus son père. Un espoir qu’ils n’auraient jamais espéré tant la folie et la colère d’Ulrich s’aggravait au fil des années. Son esprit avait encore décroché de la réalité et il ne vivait à présent que pour sa dose de D.H.P.A. qu’il avait abandonné plus d’un an avant de la consommer de nouveau presque hebdomadairement depuis une poignée de mois. Cruellement en manque, le baron désirait s’échapper de cette réalité impitoyable qu’il ne supportait plus.

— Alors ? Qu’est-ce qui te ferait plaisir ma friponne ? fit le jeune homme après l’avoir embrassée.

Désirée fit la moue et réfléchit. Elle balaya la pièce puis son regard finit par se poser sur la tasse de thé qu’elle venait d’apporter.

— Tout ce que je veux ?

— Tout ce que tu veux, assura-t-il, je peux aller t’offrir un vêtement ou même un bijou si ça te fait plaisir.

— Hum… non, rien de cela ! fit-elle joyeusement.

— Dis-moi !

Elle scruta une seconde fois la tasse puis, sûre de son choix, annonça d’un ton décidé :

— Je voudrais qu’un jour, peu importe quand, ce soit toi qui m’apportes mon petit déjeuner au lit !

Surpris par sa demande, Alexander resta quelques instants immobile puis rit à son tour.

— Tu es vraiment sérieuse ?

— Oui mon cher maître, dit-elle en se frottant à lui. Mais attention, je tiens à ce qu’il y ait un vrai chocolat chaud préparé par tes soins et au moins une viennoiserie !

— Oh, mais que mademoiselle est exigeante ! se moqua-t-il en faisant mine d’être offusqué. Aurait-elle du sang de duchesse dans les veines par hasard ?

Elle battit des paupières et le regarda d’un air hautain de ses grands yeux noisette. Puis elle s’éclaircit la voix et annonça d’un ton châtié.

— C’est à prendre ou à laisser, monsieur von Tassle !

— Dans ce cas, c’est d’accord, ma chère !

Il la reprit dans ses bras et l’enserra vigoureusement. Puis il plongea sa tête dans ses boucles châtain et prit une grande inspiration, s’imprégnant de son parfum.

— Maintenant, si tu le veux bien, commençons à nous amuser un peu. L’heure défile et les précieuses minutes perdues le seront à jamais.

Pour toute réponse, elle lui adressa un sourire malicieux et se plia de bonne grâce aux exigences de monsieur.

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