NORDEN – Chapitre 50

Chapitre 50 – Epilogue

« Lundi 7 novembre 288

CONDAMNATION ET ARRÊT

Suite au procès de l’affaire von Tassle et à l’ordonnance de Monsieur le Marquis Lucius Desrosiers, la loi interdisant la circulation de la D.H.P.A. (drogue à haut potentiel agressif) sur le territoire a été promulguée par le parquet.

La loi a été adoptée à la majorité. La drogue est désormais formellement interdite. Toute personne en faisant le commerce ou la consommant sera poursuivie pour trouble à l’ordre public et passible des plus lourdes sanctions (…)

Rappelons-le, monsieur le baron Ulrich Desnobles a été sauvagement assassiné alors qu’il se trouvait en pleine rue, non loin des quartiers portuaires, par un citoyen dont on ignore encore l’identité à ce jour. Des traces de D.H.P.A. dans l’organisme et de griffures émanant d’une main prédatrice ont été découvertes sur la victime dont le cadavre a été retrouvé dans un état des plus alarmants ; corps éventré à de multiples endroits, gorge tranchée, lambeaux de chair éparpillés (…) »

Assis à son bureau, Alexander reposa le journal d’une main tremblante. En émoi et l’estomac noué, il essuya une larme perlant sur sa joue, heureux de ce dénouement qu’il n’espérait pas en sa faveur. Enfin, il l’avait vengée. Enfin, il était parvenu à rendre justice. Malgré cela, il était las et épuisé ; le procès avait été éprouvant.

Il avait été auditionné à de multiples reprises par les magistrats afin de décrire le comportement de son géniteur ; cet être éminent, un père aimant et serviable faisant tout son possible pour épauler son fils et l’insérer dans la haute société. Mais également un maître irréprochable sur son comportement vis-à-vis de ses domestiques qui ne tarissaient pas d’éloges le concernant.

Dans son duel, Ulrich s’était acharné sans aucune retenue. Le combat fut court mais sanglant ; tous deux lacéraient la peau de l’autre, le père contre le fils, enivrés par la haine et le ressentiment profond. Il n’y avait eu aucun vainqueur. Desrosiers avait eu vent du duel. Le marquis s’était empressé d’intervenir et avait mis fin au combat.

Ulrich s’apprêtait à être mis au fer lorsqu’Ambroise, présent lors de l’événement ayant eu lieu sur les docks, avait tranché la gorge de son ancien maître sans la moindre pitié et sous l’œil pétrifié des témoins qui n’avaient pu le dénoncer faute d’être inculpés eux aussi dans le procès à venir.

Lucius, horrifié par l’état de son neveu, l’avait pris en charge et s’était emparé de l’affaire. Ne pouvant faire condamner ses pairs, il était parvenu à convaincre le Duc von Hauzen de mettre sur le tapis l’interdiction définitive de la drogue et à scotomiser l’événement auprès du marquis de Malherbes et de Yves Deslauriers, les deux autres témoins visuels de la scène.

Le jeune homme se redressa, s’appuya sur le dossier de son siège et hoqueta. Son cœur tambourinait violemment contre sa poitrine tant il était rongé par la solitude, ne supportant guère la perte tragique de celle qui se trouvait présentement à ses pieds.

Désirée se tenait auprès de lui, la tête posée sur sa cuisse. Elle l’admirait amoureusement de ses grands yeux larmoyants. Même sous cette forme, elle conservait ce regard qui le ravissait autant qu’il le troublait. Il esquissa un sourire et la gratifia d’une caresse sur le crâne. Puis il se leva, prenant grand soin de ne pas aggraver ses multiples plaies, et partit en direction des jardins.

Alexander s’en était miraculeusement sorti. Ses blessures, bien que profondes, n’avaient pas atteint de points vitaux. Il avait été touché à trois reprises ; deux lacérations sur le torse et une dans le dos, marquant chacune l’empreinte de quatre griffes distinctes qui marqueraient à vie son corps décharné.

Il avançait d’un pas lent et traînant. La chienne marchait à ses côtés et se pressait contre son maître bien aimé. Une fois dehors, il s’accouda à la rambarde auprès d’Ambroise qui fumait une cigarette tout en contemplant le domaine d’un œil vague, les cheveux noirs balayés par la brise.

Ce dernier lui adressa un sourire complice puis ricana en observant la chienne.

— Je vois que même sous cette forme, elle ne te quitte plus, se contenta-t-il de dire.

Alexander opina du chef.

— Il faut croire qu’elle tient ses promesses.

Ambroise se racla la gorge et prit une voix aiguë :

— Ta charmante petite chienne dévouée… Qu’est-ce que je détestais quand elle te disait cela !

— Le renard aigri a toujours été jaloux de la douce chienne, railla-t-il, t’as toujours été un sauvage et un incroyable râleur mais également un bon et loyal serviteur.

— Et crois-moi que je le serai encore jusqu’à la fin de mes jours, avoua-t-il.

Il y eut un long silence où tous deux se contentaient d’observer le paysage, songeurs. Il faisait bon en ces journées d’automne, le soleil rasant projetait de chauds rayons mordorés sur le domaine, baignant le jardin d’une clarté dorée. Les feuilles aux couleurs brunies et flamboyantes s’amoncelaient aux racines des arbres. Le lilial rosier déployé sous le noyer avait gagné en vigueur.

Deux autres chiens arpentaient le domaine, jappant et se coursant tour à tour. Les shelties, un mâle et une femelle, offraient de la gaîté en ce lieu devenu si froid et sévère depuis la transformation de la friponne.

— Que comptes-tu faire ? demanda Alexander. Plus rien ne t’engage à rester à mes côtés désormais, tu es libre de mener ta vie maintenant que le procès est terminé.

Ambroise prit une large bouffée de cigarette et expira avec lenteur :

— Rester à tes côtés. Endosser le statut de domestique en apparat mais travailler avec toi si tu me l’y autorises. Je sais que tu veux défier l’Élite, entrer dans la magistrature, faire carrière en politique. Et toi comme moi avons le même but ! Je veux les voir condamner, les faire souffrir comme ils nous ont fait souffrir depuis notre jeunesse !

— Tu es vraiment sûr de toi ? L’Élite est impitoyable et de Malherbes a déjà une dent contre toi, tu risques gros à l’énerver davantage. Sans parler de von Dorff. Heureusement que mon oncle a su intervenir à temps et nous protéger. Mais je doute qu’il puisse se le permettre à l’avenir.

— Je me fiche éperdument de risquer ma vie et je veux ma vengeance ! Tu as besoin d’alliés Alexander et avec moi à tes côtés nous pourrons aisément convaincre les noréens ainsi que le bas peuple aranéen de te faire confiance. Nous avons besoin l’un de l’autre pour réussir dans cette tâche. Et en restant auprès de toi, maman et Pieter seront en sécurité. Je veux rester auprès d’elle malgré le fait que je pars vivre prochainement à la campagne auprès de Judith.

— Tu ne veux pas vivre ici ? Je peux vous laisser la dépendance, vous y serez bien et en sécurité.

Le domestique souffla et écrasa sa cigarette sur le rebord.

— Merci pour ta généreuse proposition, j’avoue que c’est tentant, mais je me dois de la refuser.

Il planta ses yeux noirs dans ceux de son maître et esquissa un sourire.

— Je vais être père Alexander, Judith attend notre enfant depuis près de trois mois.

Le Baron écarquilla les yeux et le félicita. Ils portèrent à nouveau leur regard au loin et virent Séverine rentrer des courses. La sémillante Désirée partit la rejoindre à vive allure. Elle valsait entre les feuilles et les fourrés, la langue pendante et la queue battante.

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