La Tour des Mondes – Chapitre 148
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Maestro
Emy jette un coup d’œil derrière elle. Les choses avancent bien. Même si le débarquement a été plus chaotique que prévu à cause des boules de feu, il n’y en a plus dans le ciel maintenant.
Les soldats sont de plus en plus nombreux à débarquer et à prendre position sur la plage pendant que les catapultes continuent de faire feu en direction des troupes ennemies et des divers barrages.
Tom est avec les autres soldats et n’agit pas pour le moment. Emy en est presque triste en connaissant sa puissance de feu. S’il était sérieux, il pourrait probablement en quelques secondes tuer plusieurs centaines de soldats sans problème, mais vu qu’il a la frousse, Emy ne peut pas tirer grand-chose de lui.
Olga de son côté fait sa part. C’est presque un euphémisme de dire ça vu les corps qui s’empilent sur son sillage. Même si son utilisation de la musique est axée sur le support, son utilisation est tellement militaire… La tour des bardes renferme vraiment les classes les plus étranges d’après Emy. La quantité de Bardes divers et variés en est une preuve. Qu’il soit en attaque, en défense ou au soutien, un Barde saura toujours se faire une place et avec Olga elle a appris qu’un Barde pouvait être au commandement sans problème. La seule chose qui la dérange c’est qu’Olga soit une jeune Barde et que ça se traduise par de la cacophonie dans sa musique.
Mais ce n’est pas parce qu’elle n’a pas l’oreille musicale, Olga comme la plupart des jeunes Bardes ne maîtrisent pas leur instrument et ne sont pas capables de mêler à la fois musique et effet. Si elle ne se trompe pas, pour un effet impressionnant il faut que la musique le soit aussi, mais si la musique est trop impressionnante, mais que l’effet n’est pas maîtrisé cela a pour conséquence dans le meilleur des cas de détériorer l’instrument et dans le pire de tuer le barde et ceux qui l’entourent. Pour faire simple, il faut un équilibre entre l’instrument, la musique, l’effet demandé, le musicien, les émotions, etc. L’effort de concentration que cela demande fait qu’il est très difficile de trouver un barde capable de jouer lors d’un combat à cause du désordre sonore…
Olga de son côté n’est qu’une débutante et pourtant même en pleine bataille elle ne semble pas avoir de problème pour faire face au chaos.
Emy soupire est regarde autour d’elle, comme dans le village, une fois qu’elle a dépassé la cinquantaine de guerriers tués à coup de marteau les autres commencent à se méfier et ne veulent plus s’approcher. On la menace et lui jette des projectiles comme si elle était un monstre, mais personne n’ose s’approcher. Pourtant vu le nombre de guerriers elle ne devrait pas avoir ce genre de problème, mais si cela continue elle va devoir oublier son entraînement de Paladin qui lui demandait de se contrôler pour revenir à celui de Berserker. Mais avant cela….
— C’est toi la grimpeuse responsable de ce foutoir sur notre plage ?
—Yep!
— Dans ce cas, il me reste plus qu’à t’égorger comme une chienne.
Emy se met à sourire de toutes ses dents en voyant son adversaire avancer. Elle l’a observé pendant sa traversée des lignes de défense. Cela faisait longtemps qu’elle n’en avait pas vu, mais à l’équipement sur ses mains, c’est facile de voir qu’il s’agit d’un Pugiliste. Des gants renforcés couverts de pointes et des coudières et genouillères de la même envergure, des plaques d’armures en acier qui n’obstruent pas les mouvements et surtout un physique imposant de poids lourd pour finir le tableau. Elle s’attendait à mieux, mais elle ne fera pas la difficile, ce n’est pas dans le premier monde qu’elle pourrait tomber sur un Asura par exemple.
Emy plante son marteau déjà couvert de sang dans le sable de la plage et s’approche du grimpeur qui la dévisage et comprend assez vite qu’elle a décidé de le ridiculiser en l’affrontant sans se servir de son arme. Il s’approche d’elle en se mettant en garde et crache sur le sol. Si elle cherche à l’insulter, elle semble avoir réussi.
Emy de son côté ne voit que le côté amusant de la situation et du défi devant elle. Si elle arrive à le battre alors ce sera une preuve de plus qu’elle peut se poser en figure de proue pendant cette guerre. Tous les soldats derrière elle en seront témoin, s’il y a bien une personne à suivre ce sera ell –…
Un son retentit, une longue note stridente à fendre l’air en deux, puissante et brisant le chahut du champ de bataille. Un air, une mélopée ou quel que soit le mot qui définisse ce qu’Emy entend retentit alors à travers la plage entière puis s’arrête.
Elle a bien compris que cela venait d’Olga et le son arrête tout le monde et les pousse à se tourner dans sa direction. Même le pugiliste en face d’Emy s’arrête quelques instants en se demandant ce qu’il se passe.
Soudainement, une nouvelle note de violon retentit dans les airs.
C’est ensuite la voix cristalline d’Olga qui retentit suivant la même tonalité.
Puis c’est au tour des soldats de son régiment autour d’elle de se mettre à participer en répétant la note vocalement.
La première fois, rien ne se passe et les combats s’apprêtaient à reprendre comme si de rien n’était.
Mais la deuxième fois, Emy peut voir quelques soldats d’autres régiments alliés se joindre à ce qu’elle appellerait la « note » ou une sorte « d’appel ». Timide au début, cela devient graduellement de plus en plus fort à chaque répétition alors que ceux qui se sont joints à l’exercice marchent puis courent en direction des soldats d’Olga pour les rejoindre. Certains se font attaquer sur le trajet et meurent tués par les guerriers ennemis, mais à aucun moment ils ne rompent le contact visuel avec l’endroit d’où provient la musique. Alors que sa robe et ses cheveux frémissent à cause de la brise marine, Olga continue de répéter son appel. Une centaine de soldats finissent par la rejoindre doublant presque les effectifs de son régiment en une dizaine d’appels.
Emy met un coup de pied dans le ventre du Pugiliste qui croyait profiter de la distraction pour pouvoir l’atteindre. Il s’étale lamentablement au sol et se relève difficilement pendant qu’Emy continue d’observer ce qu’il se passe.
L’appel terminé, Olga, en quelques notes oblige les soldats à frapper leur lance contre leur bouclier en rythme. Puis le rythme s’accélère tandis qu’Olga commence à jouer un nouvel air. À des notes légères et battantes au rythme croissant se substituent des notes plus longues pour finalement créer ce qu’Emy appelle de la musique et à mesure que le rythme s’accélère, elle ne peut s’empêcher de se demander ce qu’il va se passer au point de rupture quand les boucliers et les lances s’entrechoqueront sans fin. Elle sait pertinemment que la qualité de la musique du Barde va créer un effet impressionnant, mais elle ne sait pas encore lequel. Les soldats changent de position autour d’Olga alors que le rythme s’accélère. Les guerriers ennemis continuent d’essayer de forcer la ligne sans succès. La ligne de bouclier elle-même se transforme et prend la forme d’une dent de tigre prête à s’enfoncer dans la ligne de guerriers ennemis. Les quelques généraux ennemis présents crient des ordres incompréhensibles aux guerriers qui n’arrivent pas à entendre à cause des percussions de plus en plus violentes.
Un mur de bouclier se forme finalement face aux soldats qui à cause de la musique ont les yeux teintés d’une folie les plongeant dans une torpeur sanguinaire.
Pendant ce temps, les javelots continuent de tomber inlassablement en empalant d’autres guerriers ça et là comme s’il n’y avait rien à faire pour les contrer. L’idée d’une défaite commence à naître sur ce côté du champ de bataille. Et le rythme continue de s’accélérer et la musique de retentir dans les oreilles de tous. Encore et encore jusqu’à ce que la rupture libératrice arrive enfin. Un court silence résonne alors, puis le son du violon fend l’air et enclenche une masse organique informe et inarrêtable.
Les soldats se jettent en avant et se frayent un chemin à coup de lance, traversant la ligne ennemie comme un couteau qui écorche la chair, incisif. Les guerriers ennemis tombent ensuite, blessés ou morts et se font piétiner par les soldats de Lishnul qui semblent ne pas vouloir s’arrêter et qui semblent avoir chacun la force d’une dizaine d’hommes.
En voyant déferler sur eux les soldats à la peau tannée par le soleil qui ont l’air de ne rien craindre et semble plus proche du démon que de l’humain, certains veulent s’enfuir loin d’ici, car ce n’est plus une guerre pour eux, c’est une sorte de malédiction causée par les grimpeurs qui s’abat à présent sur ce qui aurait dû être une bataille défensive difficile, mais gagnable grâce aux grimpeurs avec eux.
Le concerto mortel continue, renforçant et guidant les soldats vers l’avant tandis qu’Olga marche en son centre et que son régiment transperce la première ligne de guerriers sans s’arrêter et mue d’une volonté imposée par la musique de ne jamais reculer.
Olga avance en marchant sur les cadavres de guerriers et de quelques-uns de ses hommes. Sa robe qui était déjà humide est à présent teintée de sang. Ses pieds nus se coupent sur les armes et les armures et se mettent à saigner à leur tour pendant sa marche, mais son esprit est concentré sur une chose maintenant. En tant que Barde et tant que Maestro il n’y a au fond qu’une chose qui compte vraiment dans l’instant une fois que l’instrument est entre ses mains, sa musique, son art et ses conséquences.
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