Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 23.5.4
Volume 2
Prologue : Souffrance partagée
Traducteur : Team Yarashii
Je m’éveillai dans le cellier du château.
Une odeur de renfermé planait dans l’air. Je détestais cet endroit, mais je me sentais plutôt reposé.
*Ronflements*
Je pouvais entendre des ronflements réguliers en provenance du tas de paille près de moi. Une jeune fille du nom de Raphtalia y dormait.
Prenons un instant pour passer en revue les événements récents.
Je m’appelle Naofumi Iwatani. Je suis étudiant à l’université.
Je suis né au Japon. Et, pour être honnête, je suis un peu un otaku.
Je me trouvais à la bibliothèque en train de feuilleter un livre intitulé Les Archives des Quatre Saintes Armes quand, allez savoir pourquoi, je fus transporté dans le monde de fantasy qui servait justement de base à l’intrigue. J’avais été invoqué pour incarner le Héros Porte-Bouclier.
Ce monde subissait les affres des « vagues de destruction », où des hordes de monstres ainsi que de terribles catastrophes se déversaient d’autres dimensions à travers des failles dans le ciel. Quatre héros étaient invoqués pour empêcher ce monde de s’effondrer. J’avais un bouclier à mon bras que je ne pouvais retirer, peut-être à cause d’une sorte de malédiction ? Je m’étais retrouvé dans l’incapacité d’attaquer. Défendre était la seule option.
Toutefois, j’avais un peu d’expérience en matière de MMORPG, alors je m’étais concentré sur ma propre sécurité, et avais recruté quelqu’un pour se charger de la partie offensive.
Nous avions prévu de partir à l’aventure, et cette perspective me réjouissait grandement. Néanmoins, j’étais tombé dans un piège tordu. Quelqu’un m’avait accusé d’un crime que je n’avais pas commis, et l’on m’avait condamné. Personne ne m’avait plus jamais cru à partir de là. Impossible de nouer la moindre amitié ou de recevoir une assistance quelconque, ils me chassèrent juste du château sans dire un mot. J’étais dans un sacré pétrin.
Je pensais n’avoir plus rien à faire. Je me disais que je pourrais passer outre ces vagues de destruction. J’avais tort.
Elles se produisaient environ chaque mois et, en tant que héros, nous étions immédiatement téléportés à proximité le moment venu.
J’avais été contraint de protéger un tas de gens dont je me fichais éperdument, une profonde injustice. J’avais fait tout ce que j’avais pu pour gagner de l’argent et survivre, tandis que tous ces individus me raillaient et me conspuaient. Ils m’avaient même jeté des cailloux.
Cette fille qui dormait près de moi, Raphtalia, était une esclave demi-humaine. Je l’avais achetée.
L’esclavage existait bel et bien dans ce monde et, dans ce pays en particulier, Melromarc, on pouvait trouver des personnes affublées d’attributs animaux, appelées demi-humains. Ils constituaient l’essentiel de la marchandise des esclavagistes.
Quand je l’avais achetée, c’était encore une enfant, mais, en gagnant des niveaux, sa croissance avait été fulgurante, jusqu’à ce qu’elle paraisse un peu plus jeune que moi. Apparemment, les demi-humains grandissaient différemment de nous, leur développement physique se basant sur leur niveau, et non leur âge.
Au début, je pensais la faire cravacher, au vu de son statut d’esclave et de ma situation. Puis, ce fut alors que ce crétin pompeux appelé Motoyasu m’avait forcé à me battre. Durant le combat, Raphtalia avait cru en moi et avait tenté de sacrifier sa propre liberté pour me protéger. Bon, il y eut aussi d’autres choses, mais, à la fin, nous étions devenus des amis proches, capables d’avoir totalement confiance l’un envers l’autre.
Honnêtement, pendant la majeure partie de mon temps passé ici, je m’étais totalement moqué du destin de ce monde. Mais, maintenant, j’avais l’impression de vouloir aider à éviter qu’il sombre.
— Ah…
Raphtalia se réveilla et se frotta les yeux.
— Bonjour, M. Naofumi…
— Ah… hmmm… bonjour.
En la dévisageant à nouveau, je remarquai encore sa grande beauté.
Son visage était une vraie œuvre d’art. Je pourrais utiliser tout un tas de superlatifs, mais je m’en tiendrai à cela pour le moment.
Elle arborait des cheveux châtains qui cascadaient en boucle dans son dos. Elle avait de grands yeux lumineux. Ils étaient de la couleur d’un thé rouge puissant. C’était les plus beaux que j’avais jamais vus.
Après tout ce qu’elle avait enduré, j’ignorais comment son regard pouvait être encore aussi pur et gentil. Il l’était presque trop pour un corps de son âge. Il s’agissait vraiment de la chose la plus attrayante chez elle.
J’avais engrangé des niveaux et de l’argent avec Raphtalia jusqu’à l’arrivée de la première vague de destruction. C’était la première fois que j’en voyais une, mais c’était la deuxième qui frappait ce monde. La bataille fut âpre, mais je vous en dirai davantage plus tard. Le pire survint après.
— Et si nous allions manger ?
— Ouais. Tu penses qu’on trouvera ce qu’il faut au réfectoire du château ?
— Peut-être… Allons voir.
Nous nous dirigeâmes donc vers là-bas, et je continuai de passer en revue les épreuves que nous avions traversées.
Au fait, je devais encore laver mon nom de tout soupçon. Les gens que je croisais au château me traitaient froidement. À chaque fois que je tentais d’aller au réfectoire, les gardes m’en empêchaient. Les chevaliers et les autres héros étaient toujours en train de se restaurer, d’après eux. Je devais revenir une fois qu’ils auraient terminé. Si je n’avais pas été contraint d’endosser le rôle du Héros Porte-Bouclier, si seulement j’avais pu attaquer, alors j’aurais déjà réglé mes comptes avec tous ces gens depuis longtemps.
Et je n’aurais pas laissé un « héros » m’arrêter !
Nous finîmes de manger et fûmes conduits vers les chambres d’audience.
Il était l’heure de se réjouir. Nous allions être récompensés de nos efforts fournis durant la vague de destruction.
Et puis quoi encore ! S’ils comptaient vraiment nous faire poireauter un jour entier avant de nous payer, ils n’avaient qu’à le dire ! Franchement, le Sac à merde faisait tout pour m’énerver.
Le simple fait de m’imaginer passer un seul instant en compagnie de ce ramassis de crétins était insupportable. Et si j’attrapais un ulcère ?
La personne que j’appelais « Sac à merde » était, en réalité, le roi de cette contrée, Aultcray Melromarc… II ? Ou III ? Je ne m’en souvenais pas. Enfin, qu’importe, il était apparemment celui qui m’avait invoqué ici.
Lorsque j’avais été accusé à tort puis condamné, il n’avait jamais cherché à découvrir la vérité. Il s’est contenté de laisser faire, précipitant ma chute. Sacré souverain, n’est-ce pas ? Et c’était sans compter sur la nuit dernière, où il usa de son autorité pour piquer sa crise et faire du grabuge.
— À présent, nous allons distribuer les fonds servant à vous récompenser pour votre performance durant la dernière bataille, ainsi que la somme destinée à vous préparer à la prochaine vague.
C’était exactement ce dont j’avais besoin : de l’argent pour me préparer.
Un domestique fit son entrée. Il tenait avec raideur une bourse dans sa main.
— Voici pour chaque héros.
Je me tournai pour regarder les différents sacs.
Au moins, nous étions sûrs de recevoir au moins 500 pièces d’argent chaque mois.
Qu’allais-je acheter avec cela ?
Il serait probablement plus sage de commencer par une nouvelle arme pour Raphtalia.
Ou peut-être fallait-il investir dans une meilleure armure ? En y réfléchissant, je désirais également mettre la main sur d’autres composants pour fabriquer des remèdes. Je pourrais également laisser mon bouclier en absorber. Cela me permettrait de voir quel genre de compétences je débloquerais. Je tendis l’oreille vers le doux bruit des pièces cliquetant dans ces bourses, et me laissai aller à imaginer ce que je pourrais acheter.
Le domestique tint le sac ouvert, me permettant d’en voir le contenu.
Je procédai à un comptage rapide. Oui, il semblait bien y avoir 500 pièces.
— À M. Motoyasu, en récompense de ses efforts et afin de matérialiser les attentes que nous avons à son sujet, nous lui offrons 4 000 pièces d’argent.
Hé, c’était quoi ça ?
J’étais pris de court. Je chancelai et regardai rapidement le sac très lourd que portait à présent Motoyasu. Si je devais prononcer la moindre parole, ce serait assurément pour exprimer mon suprême mépris, alors je me retins. Je sentis mes poings se resserrer instinctivement.
Ils appelaient ce type M. Motoyasu, mais son véritable nom était Motoyasu Kitamura. Tout comme moi, il avait été invoqué depuis une version alternative du Japon, et était l’un des quatre héros, le Héros Lancier.
Il avait vingt et un ans. Les autres héros avaient visiblement déjà de l’expérience et de la connaissance sur ce monde. Ils savaient tout cela d’après un jeu qu’ils pratiquaient dans leur propre monde. Mais ils n’avaient fait aucun effort pour partager ce savoir avec moi. Ils m’avaient piégé puis frappé alors que j’étais au sol.
Ce Motoyasu aurait atterri ici après avoir été poignardé à cause de son attitude envers les femmes. Enfin, c’était sa version des faits, personne ne pouvait la vérifier.
Il n’autorisait que des femmes au sein de son groupe. Cela donnait l’impression qu’il montait une sorte de harem.
La nuit dernière, s’imaginant que j’abusais de Raphtalia du fait de son statut d’esclave, et pour satisfaire une espèce de complexe du sauveur, il avait décidé de tenter de la « sauver » de mes griffes en me défiant.
En théorie, un duel devait être approuvé par les deux parties, chacune devant définir quelque chose à gagner, mais pas ici. Il m’avait contraint à me battre alors que j’avais tout à y perdre. J’avais évidemment refusé, jusqu’à ce que le Sac à merde s’en mêle et m’oblige à y participer. En cas de défaite, ils me retireraient Raphtalia. Et si je gagnais, je n’aurais rien, ce qui était vraiment injuste, si vous voulez mon avis.
Quoi qu’il en soit, j’étais forcé de l’affronter, et je ne voulais pas tomber sans avoir lutté. J’avais donc fait ce que je pouvais pour l’agresser avec mes maigres moyens. J’étais sur le point de l’emporter quand quelqu’un avait triché et m’avait attaqué par-derrière pour assurer ma défaite.
Toutefois, à la fin, Raphtalia avait refusé de rejoindre Motoyasu et était restée à mes côtés.
En résumé, ce type était la source de tous mes problèmes.
Pour être franc, il avait l’air d’un vrai Don Juan. Du genre beau gosse et qui s’amuse beaucoup à draguer toutes les filles qui lui passent sous la main.
Il portait un plastron en argent poli très chic. Il était très clairement dans le camp des vainqueurs.
— Ensuite, M. Ren. En récompense de l’accomplissement de notre requête et afin d’exprimer notre confiance et nos espoirs, nous vous versons la somme de 3 800 pièces d’argent.
Lui aussi ?
Ren se tenait là, affectant un air détaché, mais il était bien sûr jaloux de recevoir moins que Motoyasu. Il laissa la bourse pleine tomber bruyamment dans sa main. Je pus l’entendre marmonner : « Tout ça parce que tu es le préféré du roi… »
Le nom complet de Ren était Ren Amaki et, tout comme moi, il avait été invoqué ici depuis un autre Japon. Il était le Héros Épéiste. Je croyais me souvenir qu’il avait seize ans.
Oui, il venait aussi du Japon, mais pas le même que moi. Dans son monde, ils pouvaient jouer à des VRMMO, une sorte de système qui permettait de s’immerger intégralement dans une dimension virtuelle. Quel que soit ce pays, il était définitivement plus avancé technologiquement que le mien.
Visiblement, il existait différentes versions du Japon. Vous m’auriez posé la question il y a un an, j’aurais probablement sauté sur l’occasion de visiter le sien.
Il avait une taille à peu près normale pour un gars de son âge, et arborait un joli minois. Il endossait son rôle avec une attitude digne d’un prince. Il se la jouait toujours cool, mais j’avais l’impression que c’était une sacrée tête brûlée derrière cette apparence. Il se montrait condescendant, et je le voyais toujours s’imaginer comme le VÉRITABLE héros, le seul à même de sauver ce monde grâce à ses connaissances issues des jeux.
— À présent pour M. Itsuki. Les nouvelles de vos actes se sont propagées dans tout le pays. Vous avez fait de l’excellent travail en ces temps difficiles. Votre récompense s’élève à 3 800 pièces d’argent.
Itsuki soupira, mais sembla estimer que sa rétribution était à la hauteur. Je le vis tout de même décocher un regard empli de jalousie vers Motoyasu.
Il s’appelait Itsuki Kawasumi, et avait un an de plus que Ren, soit dix-sept ans. Il dégageait une aura de douceur et de délicatesse. Et, pourtant, je pouvais sentir du vide et de la vanité en lui. Il était équipé de l’Arc Légendaire.
Nous n’avions pas beaucoup parlé, je ne savais donc pas grand-chose sur lui. Néanmoins, il possédait le même type de connaissances sur ce monde que Ren et Motoyasu, et je savais également qu’il venait d’un Japon alternatif.
Il avait l’air d’être le plus jeune de nous quatre. Dans les faits, c’était à Ren que revenait cet honneur.
Ce qui attira mon attention, c’était cette requête que le roi avait mentionné à Ren. J’en entendais parler pour la première fois.
— Quand au Porte-Bouclier, nous espérons qu’il fournira plus d’efforts à l’avenir.
Il n’avait même pas employé mon nom ! C’était qui, ce « Porte-Bouclier » ?
J’étais si irrité que je me sentais sur le point de péter un câble. Après tout le foutoir déclenché par ce type hier ?
Je tendis la main vers ma bourse, mais le domestique la ramena vers lui avant que je puisse m’en saisir.
— À titre de remboursement pour la révocation du sceau d’esclave placé sur Raphtalia, vos fonds de soutien sont supprimés !
Quel salaud !
— Hmm… monseigneur…
Raphtalia leva la main.
— Qu’y a-t-il, demi-humaine ?
— Quelle était cette requête que vous avez mentionnée ?
Elle tentait donc aussi d’en savoir plus là-dessus. Elle ignora le fait que je venais d’être dépossédé d’une jolie somme et essaya une autre approche.
— Les problèmes qui tourmentent notre grande nation sont réglés à ma demande par les héros.
— Pourquoi aucune demande n’est-elle donc parvenue à M. Naofumi ? Je découvre ceci aujourd’hui.
— Ha ! Que peut bien espérer accomplir le Porte-Bouclier ?
Bon sang ! Je ne pouvais pas le blairer, celui-là.
Toute l’assemblée commença à ricaner.
Oh là là… c’était insupportable. J’allais vraiment sortir de mes gonds.
— …
Je pensais passer un sale quart d’heure, mais je pouvais entendre à quel point Raphtalia serrait fort ses poings.
Je la regardai et vis qu’elle tremblait presque de rage.
D’accord, il était peut-être temps d’arrêter les frais.
— Eh bien, il est vrai qu’il n’a pas été d’une grande aide.
— Tout à fait. Je ne l’ai pas aperçu durant la bataille. Je me demande ce qu’il faisait.
— Si un Héros ne se jette pas à corps perdu dans ces combats-là, je ne sais pas vraiment à quoi il peut servir.
Les autres héros y allèrent tous de leur commentaire ironique.
Là, cela commençait à m’irriter profondément. Je devais dire quelque chose.
— Oui, c’est sûr que laisser crever tous les villageois pour foncer dans le tas et défier le boss, c’est vraiment ce qu’il y a de mieux, pas vrai ? Hein, Héros ?
Eh oui, ils avaient ignoré les habitants du village voisin et s’étaient rués sur le premier ennemi qu’ils avaient vu. Quelqu’un devait s’occuper des civils, et ce boulot m’était revenu.
— Ha ! Les chevaliers sont là pour ça ! N’est-ce pas ?
— Ouais, sauf que ces types-là sont des imbéciles ! Si j’avais confié les villageois à ces gars, combien en auraient réchappé, d’après vous ? Vous n’en auriez foutrement aucune idée, tout ça parce que vous étiez complètement obnubilés par le boss !
Motoyasu, Ren et Itsuki se tournèrent vers le capitaine des chevaliers. Il hocha lentement la tête d’un air irrité avant de prendre la parole.
— Mais… si les Héros ne font pas tout ce qu’ils peuvent pour éliminer la vague à sa source, la destruction ne fera que s’amplifier ! Arrête donc de la ramener !
Ben voyons ! Je n’en croyais pas mes oreilles.
Il ne faisait que parader autour du château… Et puis, est-ce qu’ils avaient tous oublié que j’étais aussi un héros ? Ou alors… est-ce qu’ils essaient de prétendre que je n’étais pas vraiment le Héros Porte-Bouclier ?
— Très bien, j’ai pigé. On est tous très occupés, alors on va juste se retirer, à présent.
Chercher la bagarre maintenant ne m’apporterait rien de bon. Il était plus sage de partir sans faire plus de vagues.
— Attends, Porte-Bouclier.
— Hein ? Quoi encore ? Contrairement à un certain roi hautain assis sur son trône, j’ai de vraies choses à faire.
— Tu es pire que tout ce que j’avais pu imaginer. Va-t’en ! Et ne viens plus jamais te présenter devant moi.
Hein, c’était quoi, ça ? Ce Sac à merde était prêt à tout pour me foutre en rogne !
— Excellente nouvelle, vous ne trouvez pas, M. Naofumi ?
Raphtalia affichait un grand sourire.
— Pardon ?
— À présent, nous n’avons plus à perdre notre temps ici. Plutôt que de gaspiller notre énergie en trivialités, nous allons enfin pouvoir nous focaliser sur quelque chose d’utile.
— Ou… ouais.
Je commençais à me dire que je pouvais réellement compter sur elle.
Elle prit ma main et la serra. Elle aussi devait être énervée. Une puissante colère était presque palpable entre nous deux, une colère que nous ne pouvions supporter seuls. Mais, ensemble…
— Attendez une seconde.
Itsuki leva la main et s’adressa au Sac à merde.
— Qu’y a-t-il, Héros Archer ?
Qu’avait-il en tête ? Non pas que je m’attendais à quelque chose de sensé de sa part.
— Ça concerne le duel d’hier soir. M. Naofumi a été injustement traité, puisque quelqu’un d’extérieur au combat est intervenu par-derrière. Que comptez-vous faire à ce sujet ? C’est surtout ça que je voulais demander.
Pendant un bref instant, le silence se fait roi.
— Je ne suis pas certain de saisir.
— Eh bien, le duel portait à l’origine sur la liberté de Mlle Raphtalia. En dépit d’évidentes preuves démontrant que l’affrontement n’a pas été équitable, sa malédiction de l’esclave a tout de même été retirée. C’était bien le prix à payer en cas de défaite, non ? Pourtant, vous venez de révoquer le paiement de M. Naofumi en avançant comme motif le remboursement du retrait du sceau. Je me demande si vous estimez qu’il s’agit là d’un arrangement correct.
Que lui arrivait-il ? Le regard d’Itsuki était tranchant, et il s’exprimait avec force face au roi ?
— Il a raison. J’ai tout vu depuis le balcon et, d’après les règles, si ce duel avait été équitable, Naofumi aurait gagné.
— Je n’ai pas perdu !
Motoyasu s’écria, mais Ren et Itsuki ignorèrent sa complainte. Leur regard était froid.
— En fonction de votre réponse, nous pourrions reconsidérer si oui ou non Naofumi est vraiment coupable des crimes dont on l’accuse.
— Je… Voyons…
Abasourdi, le Sac à merde resta assis là, les yeux balayant l’assemblée.
— Oh, mais ce n’est pas du tout ça ! M. Itsuki, M. Ren ! Vous avez tout faux !
La Salope était tirée à quatre épingles et son visage portait une légère trace de maquillage. Elle se fraya un chemin dans la foule.
Mais bien sûr ! Tout était à cause d’elle, la femme qui m’avait piégé et avait sali mon nom, la Salope !
Myne Suphia. Apparemment, son véritable nom était Malty, mais qui donc accordait de l’importance à ce stupide détail ?
À l’image de sa personnalité, ses cheveux étaient rouge sombre et elle dégageait une aura aussi détestable que fourbe. Malgré cela, je devais tout de même admettre qu’elle était jolie.
Lors de notre première excursion hors de la ville, personne n’avait souhaité m’accompagner, excepté elle. Toutefois, elle avait fini par dérober tout mon argent avant de m’accuser d’un crime que je n’avais pas commis, ruinant ma réputation, et allant se réfugier auprès de Motoyasu. Elle était le mal incarné.
J’avais donc décidé de l’appeler dorénavant la Salope.
Et, croyez-le ou non, mais la Salope était en réalité la princesse de ce royaume.
Le livre que je feuilletais dans mon propre monde, Les Archives des Quatre Saintes Armes, évoquait aussi une princesse doublée d’une sacrée garce. J’étais pratiquement certain que ce personnage lui faisait directement référence.
— Le duel était censé être une lutte en un-contre-un et, pourtant, le Héros Porte-Bouclier a caché des monstres sous sa cape pour s’en servir contre son adversaire. C’est une violation flagrante du règlement, entraînant de la part de mon père le roi un jugement avisé.
Elle ne s’arrêtera donc jamais, ma parole.
Et comment étais-je supposé gagner un combat sans être capable d’attaquer ? Ils devaient forcément déjà être au courant quand ils ont mis en branle toute cette mascarade.
— Je comprends ce que vous ressentez, mais…
— Vous ne pouvez pas juste l’accepter ?
Itsuki et Ren paraissaient déçus.
La Salope essayait évidemment d’imposer une autre vision. Ses neurones ne se mettaient en marche que s’il y avait matière à comploter contre quelqu’un.
— Mlle Myne. Même si ce que vous dites est vrai, vos propres actions sont également contraires aux règles.
— Alors, oui, il n’a pas fourni autant d’efforts que nous, mais, de ce que j’ai compris, la guilde ne lui a pas donné de travail à faire non plus. Il ne pourrait pas recevoir un minimum de soutien, ne serait-ce que pour survivre ? De plus, il a réellement protégé les villageois lors de la vague quand les chevaliers ne se sont montrés d’aucune utilité.
Le visage de la Salope tressaillit. Son irritation était manifeste.
Que pouvait-elle faire ? Certes, elle était en mesure d’user de son autorité de princesse, mais elle était consciente que manipuler ouvertement les héros n’était pas la bonne solution.
Le fardeau de la preuve à apporter était sur ses épaules. La situation était différente de la fois où j’avais été piégé. Il n’y avait eu aucun témoin à l’époque.
— Fort bien. Nous lui fournirons une petite somme. Prends donc cela et disparais.
Le Sac à merde proclama son ordre solennel du haut de sa grandeur, et un domestique balança une bourse dans ma direction.
— Très bien, monseigneur. Nous nous retirons. Nous vous remercions pour cette judicieuse rétribution.
Raphtalia semblait joyeuse, et elle me conduisit hors du château.
— Il s’enfuit la queue entre les jambes.
Comme si Motoyasu était le mieux placé pour dire cela. Ren et Itsuki demeurèrent silencieux.
Allez savoir ? Le simple fait que chacun soit conscient de la haine viscérale portée par l’autre rendait la vie plus facile.
De plus, Ren et Itsuki avaient l’air de nourrir leurs propres doutes au sujet de Motoyasu. Malgré cela, ils n’étaient pas encore prêts à vraiment changer quoi que ce soit. Ils n’avaient sûrement pas envie de mettre en péril leur position, n’est-ce pas ? Mouais… ils allaient rester sur ma liste noire pour le moment.
— Très bien, retournons au chapiteau de l’esclavagiste et laissons-le me réappliquer la malédiction.
— Quoi ?
Raphtalia me dit cela dès que nous franchîmes les portes du château.
— Sans cela, je ne pense pas que vous puissiez vraiment avoir foi en moi, du fond du cœur.
— Je ne… Allons, tu n’as pas besoin de redevenir esclave.
— Je pense que si.
— Pardon ?
M’étais-je planté quelque part dans son éducation ? Elle avait raison sur le fait que je ne pouvais avoir confiance en personne d’autre qu’un esclave. Toutefois, je pensais être à même de croire en elle, sans ce statut particulier.
Si Raphtalia n’avait pensé qu’à elle-même, elle aurait eu tôt fait de rejoindre Motoyasu à l’issue du duel. Cela aurait été sa meilleure option.
Elle savait que tout le royaume me détestait et que personne ne me croyait. Et, pourtant, elle avait choisi de rester à mes côtés. Ce simple constat était suffisamment parlant.
— Dis, Raphtalia…
— Qu’y a-t-il ?
— Tu n’en as vraiment pas besoin.
— Mais je le désire.
Elle avait un grain, ou quoi ?
— Je veux porter la preuve montrant que vous avez confiance en moi.
À l’instant où elle prononça ces mots, je sus tout de suite que j’aspirais à la protéger.
Une vague d’émotion envahit ma poitrine. J’identifiai cela comme de l’amour, mais il y avait autre chose.
Elle avait certes l’apparence d’une femme adulte désormais, mais elle était encore une enfant il y a de cela une semaine ou deux. Apparemment, les demi-humains grandissaient en fonction de leur niveau, et non de leur âge.
Elle avait perdu ses parents lors de la première vague de destruction, il n’y a pas si longtemps. Peut-être que ce que je ressentais à l’instant n’était pas un amour romantique, mais plutôt celui d’un parent. Cela devait certainement s’expliquer par le fait que je l’avais vue grandir sous mes yeux. Oui, c’était forcément cela.
Voilà donc ce qu’un parent devait ressentir. Tel serait mon rôle. Je veillerai sur elle.
— Allez, en route.
Si elle insistait tant là-dessus, je n’allais pas m’y opposer. Qu’elle fasse ce qui lui chantait.
Nous décidâmes donc de rendre visite à ce chapiteau, celui qui vendait des esclaves.