Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 28

Frapper et courir
Traducteur : Team Yarashii

Le lendemain, Raphtalia se réveilla en même temps que moi, et nous allâmes tous les deux à l’étable.

— Gaah !

Quand Filo nous remarqua, elle gazouilla joyeusement et courut nous saluer.

— C’est bon, ta croissance est finie, maintenant ?

Elle semblait avoir encore pris une tête de plus dans la nuit.
Filo paraissait avoir déjà atteint la même taille que les Filoliaux adultes que j’avais aperçus à la capitale.
Elle était désormais blanche, avec quelques discrètes traces de rose par endroits. L’ensemble était agréable à regarder.

— Est-ce que tu as faim ?
— Gah ?

Filo pencha la tête sur le côté, l’air confuse. Parfait, elle en avait terminé avec sa croissance express.

*Piki*

Encore ce bruit étrange. Son corps grandissait si vite qu’il n’arrivait pas vraiment à suivre.
Nous prîmes notre petit-déjeuner puis nous assîmes pour discuter de nos plans pour la journée.
Tous les villageois semblaient très occupés. Ils avaient fort à faire avec la restauration de Riyute.

— Gaaah…

Une charrette était posée en plein sur le chemin, remplie de matériel pour réparer. Filo la regardait presque avec envie…

— Tu veux tracter ce truc ?
— Je parie que oui.
— Que se passe-t-il, Héros ?

Raphtalia et moi étions en train de parler tout en désignant la charrette quand un habitant s’arrêta et nous questionna.

— Ma Filolial a les yeux fixés sur cette charrette, alors je me demandais si elle voulait la tirer ou quelque chose du genre.
— Oui, les Filoliaux se conduisent souvent comme ça.

Le villageois hocha la tête en signe d’acquiescement et porta son regard sur Filo.

— Nous sommes tous très accaparés par les réparations, mais toute aide extérieure est bonne à prendre. Héros, si nous vous promettons cette charrette, pensez-vous pouvoir nous aider ?
— Hmm…

Ce n’était pas une mauvaise idée. Et puisque j’avais enfin un monstre utile, lui confier une tâche paraissait logique. Si tout allait bien, nous pourrions gagner du temps dans nos voyages pour faire d’autres choses.

— Qu’attendez-vous de nous ?
— Il y a du bois à couper pour nos constructions dans la forêt juste à côté. Pensez-vous être capable d’aller prêter main-forte pour le transport vers le village ?
— La forêt…

En y réfléchissant, je n’y avais encore jamais mis les pieds.

— Ça pourrait nous prendre un peu de temps, est-ce que ça vous va ?
— Oui, pas de problème.

Nous étions en pleine discussion sur ce sujet lorsque je vis un visage familier à l’extérieur de Riyute. Il y avait tout un groupe qui se dirigeait à vive allure vers nous dans un attelage tracté par un Dragon Chevalier.
Le chef portait une cotte de mailles ainsi qu’un éblouissant plastron en argent. Une lance bien tape à l’œil trônait à ses côtés.
Eh oui. C’était bien Motoyasu et la Salope. Ils descendirent de l’attelage.

— Votre attention ! Que tous les villageois se rassemblent par ici !

Les habitants fort affairés mirent leurs tâches de côté et commencèrent à marcher en direction des nouveaux arrivants. Ensuite, la Salope déroula un long parchemin et harangua alors la foule :

— Citoyens ! En récompense de ses glorieuses victoires lors de la dernière vague de destruction, le Roi de ces terres a accordé à cet homme, Motoyasu Kitamura, un droit de gouvernance sur ces territoires.

Quoi ? Un droit de gouvernance ? À Motoyasu ?
Comme s’il pouvait lire dans mes pensées, le principal intéressé s’écria tout à coup :

— Ce qui signifie que moi, le Héros Lancier, ai désormais le contrôle de cette zone. On m’a expressément demandé de superviser les efforts de reconstruction ! J’attends donc votre coopération pleine et entière à partir de maintenant ! Assurez-vous d’avoir mis de côté les fonds nécessaires pour mener à bien vos projets avant d’acheter le moindre matériel !
— Pardon ?

La majorité des habitants arbora un air sceptique devant leur nouveau chef.
C’était tout naturel. Durant la vague, quand le village avait été attaqué, qu’avait fait le Héros Lancier pour eux ? Rien ! Et pourtant, le voici, dans ce soi-disant rôle de gouverneur ! Évidemment qu’ils n’allaient pas accepter cette nomination aussi facilement.
De plus, recevoir une telle charge simplement pour avoir combattu ? Pourquoi la Couronne se montrait-elle si proche de Motoyasu ?

— C’est certainement une erreur. Voyez-vous, je suis le gouverneur en place.

Un homme parmi la foule leva la main et s’adressa à Motoyasu. Voilà qui paraissait également naturel. Qui se contenterait de courber l’échine et d’accepter une nomination sortie de nulle part ?
Certes, il s’agissait d’un ordre officiel, je me doutais donc bien qu’il n’y avait que peu de moyen de s’y opposer, mais tout de même… Ces gens allaient être agacés.

— Qu’entendez-vous par là ? Êtes-vous en train d’impliquer que vous allez désobéir à un ordre de votre roi ?
— Je ne dis pas cela, simplement qu’il est étrange que…
— Silence !

La Salope avait l’air convaincu de dominer les débats. J’avais une furieuse envie de marcher vers elle pour lui mettre un gros pain dans son joli minois.

Mais attendez… Est-ce que cela voulait dire que le village appartenait à présent à Motoyasu ? Bon sang ! Cela signifierait que je devrais partir… encore une fois. L’aubergiste nous avait laissés loger chez lui gratuitement, alors j’espérais pouvoir faire de Riyute notre base le plus longtemps possible.

— Ha ! Mais qu’est-ce que je vois ? Que fais-tu ici, Naofumi ?

Il m’aperçut dans la foule et m’interpella.

— J’ai établi mon camp ici.
— Hein ? Tu veux dire que tu t’échines encore dans un coin pareil ? Ah là là, sacré Bouclier, toujours à la traîne… Tu dois avoir compris que ce village appartient à Motoyasu désormais, et il ne tolérera aucun criminel sur ses terres. Va-t’en d’ici.

J’avais très envie de lui fermer son clapet.
Voilà qui devait sûrement signifier que c’était la Salope qui avait le pouvoir. Mais que recherchait-elle ? Je ne pouvais qu’imaginer…

— Première décision : une taxe sera à présent prélevée chez tous ceux entrant et sortant du village. Sans cela, il nous sera impossible de rassembler les fonds nécessaires à la reconstruction. Cette somme sera de 50 pièces d’argent, tant pour entrer que sortir. Cela fera donc un total d’une pièce d’or.
— Mais c’est… Avec une taxe pareille, nous ne parviendrons jamais à survivre !
— Oh, ça ne représente pas beaucoup.

Motoyasu avait clairement une évaluation erronée sur ce que l’argent valait vraiment pour ces gens.
Une pièce d’or, c’était… une coquette somme. Pour des individus vivant dans un confort tout relatif, 20 pièces de bronze leur suffisaient pour la journée. Si vous restiez à l’auberge, une pièce d’argent donnait accès à une chambre et un bon repas.
Leur nouvelle taxe coûtait l’équivalent de cent fois leur quotidien. Qui pourrait réussir à se nourrir avec un prélèvement pareil ?

— Quel est le problème ? Notre édit dérange-t-il quelqu’un ?
— Bien sûr que oui.

La Salope me dévisagea tandis que je répondis.

— Tu viens à peine d’être nommé gouverneur, et tu te ramènes pour la première fois l’air de rien en proclamant la levée d’un nouvel impôt ? Réfléchis un peu…
— Tu sais… il n’a pas totalement tort, Myne. Tu penses qu’on devrait baisser la somme à un niveau plus raisonnable pour ces gens ? demanda Motoyasu à Myne.

En entendant cela, elle se tourna vers moi, une lueur de furie diabolique dans les yeux. Cela disparut tout aussi vite que c’était apparu, et elle se mit à battre des cils en direction de Motoyasu.

— Si nous n’apprenons pas à persévérer dans la souffrance, le village ne se remettra jamais de cette calamité. Le gouverneur précédent peut se considérer relevé de ses fonctions par l’autorité de la Couronne.
— Comment osez-vous ? s’écria en colère l’homme en question.

Le reste des habitants le suivit.

— Hé ! C’est injuste !
— Qu’est-ce que vous comptez faire de nous ?
— Allons, allons… Savez-vous ce que cela implique de se rebeller contre la Couronne ? Peut-être qu’une petite démonstration s’impose.

La Salope leva la main, et les chevaliers se mirent à arpenter les rues du village d’un pas nonchalant, juchés sur leurs dragons.
Est-ce qu’ils se préparaient à se battre ? Crétins bagarreurs, va !
Motoyasu assistait à la scène d’un air impatient, comme s’il n’appréciait pas d’être forcé d’en arriver à un tel extrême. Pourtant, c’était lui, le vrai criminel dans cette histoire.

— Hé oh ! Si vous ne…

Tout à coup, Myne se retrouva entourée par un groupe d’hommes en noir, semblables à des ninjas.

— Hé…
— Mademoiselle Myne, c’est bien vous ? Vous avez dû être informée de notre arrivée. Nous apportons un message pour vous.
— Qu’y a-t-il ?

L’un des ninjas s’avança et lui présenta un parchemin enroulé.
Hein, c’était des assassins ou un truc comme ça ? Il fallait croire que de telles choses existaient aussi dans ce monde.
La Salope se tint là, visiblement contrariée au fil de sa lecture. Puis, toute couleur déserta son visage.
Que se passait-il ? Qu’y avait-il d’écrit là-dessus ?

— Nous sommes employés par une certaine personne. Nous avons toutes les raisons de penser que vous connaissez son identité.
— Mais, je…

Réponds-leur. Il n’est plus l’heure de feindre l’ignorance !
J’étais sur le point de lui crier dessus quand…

— C’est un duel !

La Salope s’exclama d’un air autoritaire.

— Quoi ?

Mais de quoi parlait-elle ? Un duel ? Entre qui ? Motoyasu semblait aussi perdu que moi.

— Vous allez devoir défier nos dragons lors d’une course pour déterminer qui sera gouverneur de ces terres.
— C’est quoi, ce bordel ?

J’ignorais ce qui était écrit sur ce parchemin, mais ce ne pouvait pas être quelque chose d’aussi stupide.

— Si vous refusez, nous ne renoncerons pas à ce titre !

Après la proclamation de Myne, tous les ninjas commencèrent à chuchoter entre eux. Ils avaient l’air de discuter de la marche à suivre après la nomination du prochain gouverneur.

— Fort bien, nous allons utiliser le monstre le plus rapide de ce village.
— Non.

Myne pointa son doigt dans ma direction. Je tenais fermement les rênes de Filo dans ma main, et la sienne se mit à la désigner.

— Le Héros Porte-Bouclier participera en votre nom.
— Mais…

Quel intérêt y avait-il à ce que je sois impliqué ? Je n’étais même pas natif de Riyute.
Le gouverneur m’examina et sourit.

— Héros Porte-Bouclier, auriez-vous l’obligeance de nous venir en aide ? De ce que j’ai vu hier, votre Filolial est très rapide.
— Pas question !

Pourquoi devrais-je être mêlé à cette histoire ?

— Si vous l’emportez, nous vous promettons une juste rétribution.
— Et dans le cas contraire ?
— Il ne vous arrivera rien… Et puis, votre Filolial semble désirer cette course, vous ne trouvez pas ?

Filo fixait les dragons, ses yeux passant alternativement sur chacun d’eux. Je devais la maîtriser avec les rênes. Dans un soudain accès de colère, elle paraissait capable de charger droit sur Motoyasu et ses acolytes à tout moment.

— En considérant l’inimitié de longue date entre Dragons et Filoliaux, il semble tout naturel que cet oiseau soit prêt à s’élancer. Cela devrait être un bon match.

Que c’était emmerdant… et ce, même si je n’avais rien à perdre en cas d’échec.

— Qu’en dites-vous, M. Naofumi ?
— Hmm…

Bon, je n’avais assurément pas envie de rester sur les terres de Motoyasu, et je sentais qu’il serait regrettable de quitter le village juste après avoir commencé à bien m’entendre avec tout le monde. Et j’aimerais aussi me faire une meilleure idée des environs. J’allais devoir gagner si je souhaitais rester.

— Très bien, allons-y.

Je grimpai lentement sur le dos de Filo et pris mes repères. Puis, je me tournai vers Motoyasu.

— Ha ha ha ha ! Regardez-moi ce type sur son gros poussin dodu ! Ha ha ha !

Toute sa clique s’esclaffait à s’en tenir les côtes.
Je n’avais aucune idée de ce qu’ils trouvaient si drôle, mais je ne supportais pas ce spectacle. Je sentis le sang me monter à la tête.

— Ça rime à quoi, ça, Motoyasu ?
— Ha ! Honnêtement, je pensais que c’était déjà assez amusant de te voir te balader avec ce truc près de toi. Mais ça ! Et, en plus, tu dis que tu vas courir avec ! Ha ha ha !
— Putain, pourquoi vous vous marrez ?

Je n’avais pas la bonne posture ? Et puis, qu’est-ce qu’ils pensaient que j’allais faire, juché ainsi sur le dos de Filo, à part courir ? Faire un tennis, peut-être ?

— Ha ! Tu as l’air d’un parfait crétin ! D’abord, les dragons sont tellement plus cool que les oiseaux. Ensuite, regarde-moi ce machin ! Ce mélange brouillon de rose et de blanc… tu t’es évidemment procuré une race pas chère !
— Je ne sais pas quelle couleur tu préfères…

Je ne voyais toujours pas ce qu’il y avait de si drôle.
J’essayais de le comprendre lorsque Motoyasu, toujours hilare, marcha vers Filo en la désignant du doigt.

— Gaaah !

Filo recula puis lui asséna un coup magistral dans les roubignoles.
Je le vis. Son visage rieur qui se tordit soudain en une expression de douleur confuse. Son corps pivota sur lui-même en titubant et il fut projeté en arrière par l’impact.

— Ugh…

Franchement… je n’avais jamais été aussi heureux de toute ma vie. Je ne l’avais pas vu venir, celui-là. La félicité nous rend visite lorsqu’on s’y attend le moins.

— Kyaaaaaah ! Oh, M. Motoyasu !

Ha ha ha… cette frappe avait dû réduire en bouillie ses testicules.
Je me sentais si bien. Ce simple coup justifiait à lui seul tout l’argent que j’avais investi sur Filo jusqu’à maintenant. C’était digne de mon monstre. Elle se vengeait pour moi.
Filo, ce soir, c’est un festin qui t’attend, crois-moi.

— Gaah !
— Espèce de lâche ! Comment oses-tu attaquer M. Motoyasu ?
— La course n’a pas encore débuté, et puis, si tu marches vers un monstre en te moquant de lui, tu veux t’attendre à quoi, hein ?
— Ugh… enfoiré, va…

Motoyasu se remit tant bien que mal debout. Ses mains se pressaient sur son entrejambe. La sueur visible sur son visage révélait sa souffrance.
Je passai la main sur la tête de Filo.

— Alors, on la commence, cette course ?
— Compte sur moi !

Nous n’avions aucune certitude qu’il ne tenterait pas un coup tordu, nous ne pouvions que nous tenir aux aguets et surmonter ce qui se présenterait.
La Salope libéra un dragon de l’attelage et Motoyasu lui grimpa dessus.

— La course consistera en trois tours autour du village !

Les villageois s’affairèrent à dessiner des lignes au sol, pour délimiter le cadre du duel.

— Bonne chance, M. Naofumi. Et, Filo ? Prends soin de lui, d’accord ?
— Ça va le faire.
— Gah !
— Je vais gagner, je le jure !

Le gouverneur se présenta devant nous deux et leva les mains. À leur retombée, la course démarrerait.

— Prêts… partez !

Il les abaissa rapidement et nous partîmes !
Notre départ nous plaça au coude-à-coude.
Filo courait à un bon rythme régulier, avec une cadence constante et plaisante.
Hmm ? Si je devais comparer notre vitesse avec celle de Motoyasu, je dirais que Filo était plus rapide.
La victoire devrait être facile à obtenir. Nous eûmes suffisamment d’avance pour que je me permette un regard en arrière.

— Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? Allez, plus vite !

Motoyasu beuglait désespérément des ordres à son dragon. La bête, refusant de céder face à Filo, fournit plus d’efforts et commença à accélérer. Quand bien même, elle restait derrière.
Les caractéristiques de Filo étaient certainement meilleures.
Ce duel ressemblait à celui d’une moto et d’un vélo électrique. Évidemment, Filo incarnait la première tandis que Motoyasu était coincé avec le second. Voilà qui donnait une bonne image de nos allures respectives.

— Gaah !

Filo s’exclamait de joie, comme pour montrer sa confiance dans notre avance. J’avais l’impression d’être sur une moto. Nous filions aussi vite que le vent et le village défilait, simples bandes de couleur floutées en périphérie de mon champ de vision. Nous achevâmes le premier tour, en tête d’au moins sept ou huit mètres.

— Satané Bouclier !

Frustrée, la Salope nous maudissait.
Ha ha. C’était si simple, et si bon à la fois.
Les villageois étaient rassemblés autour du parcours pour nous regarder quand cela se produisit.

— Je suis la source de tout pouvoir, entends mes paroles et interprète-les correctement ! J’ordonne qu’un trou se forme devant moi. Trou Terrestre !

Je surveillais que les chevaliers n’interfèrent pas dans la course lorsqu’un trou apparut juste devant nous.

— C’est lâche !

Les chevaliers détournèrent le regard, ignorant apparemment de quoi on les accusait.
La patte de Filo glissa sur le bord du trou et nous trébuchâmes.

— Gaah ?
— C’est ma chance !
— Quelle chance, hein ? Connard, va !

Imperturbable face à mes virulentes protestations, Motoyasu éperonna son dragon.
Mais…

— Je suis la source de tout pouvoir, entends mes paroles et interprète-les correctement ! Je réclame que sa vitesse soit augmentée. Accélération Rapide !

Quelqu’un était donc en train d’incanter une magie de soutien pour Motoyasu. Et la personne responsable de cela était aussi derrière l’apparition du trou ! Mais qu’est-ce qui clochait avec les habitants de ce pays ?

— Filo, on ne peut pas perdre face à des gens pareils ! Allons-y !
— Gaaaaah !

Filo se redressa et gazouilla avec force, comme pour signaler qu’elle passait aux choses sérieuses. Elle reprit sa course, encore plus rapide qu’avant.
Sous peu, nous rattrapâmes toute l’avance que Motoyasu avait accumulée.

— Quoi ?

Comme si on allait perdre et le laisser remporter ce duel en trichant !
Filo filait à une telle allure que j’avais l’impression qu’elle comprenait ce que je ressentais. Même avec l’accélération du dragon, nous parvînmes à combler notre retard à la fin du deuxième tour.
Nous apercevions de nouveau les villageois, et je balançai virulemment mon doigt vers Motoyasu, en prenant soin qu’ils voient tous ce que je faisais.
Les habitants se pressaient pour voir ce qui avait changé.

— Je suis la source de tout pouvoir, entends mes paroles et interprète-les correctement. Ralentis son allure ! Décélération Rapide !
— Gah ?

Filo perdit soudain beaucoup de vitesse.

— Mais bordel, qu’est-ce que vous foutez ?

Les chevaliers rassemblés près d’ici nous tournèrent le dos, ne sachant apparemment pas du tout de quoi je parlais.
Motoyasu nous rattrapa avant de nous dépasser.
Assurément, il devait se douter que des gens remarqueraient ce qui clochait. Jusqu’où allait sa lâcheté ?
Bon sang… À ce rythme-là, nous allions perdre. Je ne supportais pas le simple fait d’y penser. Il devait forcément y avoir quelque chose à faire !

— Gaaah !

Filo aussi avait l’air en rogne. Elle poussa une sorte de croassement pour exprimer son mécontentement avant de déployer largement ses ailes et de se propulser en avant.
Oh là, quelle mouche l’avait piquée ? Elle fonçait encore plus vite qu’avant, mais il devenait difficile de la contrôler. Quand nous arrivâmes à un virage, elle fut contrainte de suivre le bord extérieur du tracé.

Cependant, je savais bien une chose sur les courses grâce aux jeux. Dans des simulations de moto, on pouvait se pencher sur le côté pour tourner plus vite. Je me disais que je pourrais essayer !
Nous atteignîmes un autre virage, et je déportai mon poids pour l’aider, dans le sens de la courbe. J’étais accroché à son estomac.
Mais cela fonctionna. Filo put prendre la trajectoire désirée sans ralentir.
Oui ! Nous entamions le dernier tour et nous avions une nouvelle fois pris l’ascendant.
Il ne nous restait plus qu’à filer vers la fin.

Les villageois avaient rassemblé les chevaliers et les observaient attentivement pour être certains qu’ils n’interfèrent pas encore. Voilà qui assurerait normalement notre victoire… Soudain, les chevaliers dégainèrent leur épée, et les habitants se dispersèrent.
Tout n’était plus que chaos. Je pus apercevoir parmi les hommes armés quelqu’un commencer à incanter un nouveau sort.
S’ils voulaient la jouer comme cela, j’avais moi aussi quelques atouts dans ma manche.

— Bouclier d’Air !

Ils avaient créé un autre trou dans le sol, mais j’invoquai mon bouclier pour le recouvrir.

— Vas-y, Filo ! Montrons à ces sales cons à quel point on trace !
— Gaah !

Oui ! La victoire était à portée de main. Mais, en travers de notre route…

— Filo !
— Gah !

Je repérai le chevalier responsable des sorts… Je le fixai intensément.

— Je… hmm…

De là où il se tenait, je devais incarner une sorte de chef suprême de la fin du siècle.
Filo lui tourna le dos, leva la patte, et le frappa. L’imbécile s’évanouit sous le choc.

— Gah !

Filo s’exclama, bien décidée à l’emporter, et nous franchîmes victorieux la ligne d’arrivée, loin devant notre concurrent.

— J’ai… j’ai perdu…
— Ce n’est pas juste ! Il a triché ! Je demande une nouvelle course ! vociféra la Salope.
— Moi, tricher ? Et puis quoi encore ? Qui était celui qui a lancé ces sorts, à ton avis ?

Je désignai le chevalier inconscient.

— Ce type a balancé tout ce qu’il pouvait pour nous ralentir ! Ça, c’est ce que j’appelle tricher !
— Attends… il a vraiment fait ça ?

Motoyasu s’immisça, jouant l’ignorant qui découvrait le pot-aux-roses.
Comme si j’allais oublier qu’il avait crié : « C’est ma chance ! »

— Je ne sais rien du tout à ce sujet. Et quand bien même il aurait triché, quel rapport avec nous ? Nous réclamons justice !

Alors, elle ne demandait réparation que lorsque c’était ELLE qui perdait ? Ha ! Je croyais rêver.

— Je n’ai pas eu cette impression.

Tous les villageois acquiescèrent face à l’affirmation du gouverneur.

— Comme le Héros Porte-Bouclier vient de le dire, il y a des traces de sorts sur le terrain de la course. Nous avons couru pour disperser les chevaliers, la preuve est donc toujours là.

C’était exact. Nous avions frappé ce chevalier à la fin pour l’empêcher de couvrir ses arrières. Les habitants l’encerclaient, à présent. Il suffirait d’aller voir ce gros trou encore présent sur le tracé pour savoir illico qu’il était à blâmer.

— Le Héros Porte-Bouclier l’a créé pour nous faire porter le chapeau !
— Non, ce n’est pas le cas.

Quoi ?
La femme qui tenait l’échoppe de magie apparut dans la foule. Oh oui, son petit-fils habitait là, m’avait-elle dit l’autre fois.

— Le Héros Porte-Bouclier ne peut utiliser que la magie de soutien et de soin. La jeune fille à ses côtés ne peut se servir que de la magie d’ombre et de lumière. Par conséquent, aucun d’eux n’aurait pu produire de tels trous dans le sol.
— Oh, parfait ! Voilà que la stupide petite dame qui tient la boutique de magie vient jouer les Je-Sais-Tout !

Au moment où s’exclamait la Salope, les ninjas refirent leur apparition pour l’entourer.

— Il apparaît évident que le Héros Lancier a été l’objet d’un soutien déloyal. Veuillez venir avec nous, je vous prie.

Motoyasu s’exprima doucement et tenta de calmer la Salope :

— On a perdu la course, alors, comme promis, on vous cède le contrôle de ce village.
— Très bien. Maintenant, dégagez d’ici.
— Je ne perdrai pas la prochaine fois.
— Tu passes ton temps à perdre. Espèce de lâche.
— Je ne suis pas un lâche !
— Héros Lancier, l’heure n’est pas au combat. Pour vous non plus, Héros Porte-Bouclier.

Les ninjas sermonnèrent la troupe de Motoyasu, et ils partirent tous.
Ils abandonnèrent le dragon au passage.

— Nous n’avons pas besoin d’un dragon qui perd face au Bouclier. Laissez-le.
— Kyuuu, laissa échapper piteusement la bête, rejetée par ses maîtres.

Pauvre créature. Elle n’avait pas vraiment fait quoi que ce soit de mal.
Un groupe de villageois s’avança et caressa la tête du dragon avant de s’emparer de ses rênes.

— Gardons-le ici.
— Bonne idée.

La bête se mit en marche derrière eux, la tête basse.

— J’ai gagné, alors donnez-moi ma récompense.
— M. Naofumi… juste comme ça ?

— Ce village vous doit tant, Héros Porte-Bouclier. La mise en place du genre de taxe dont ils discutaient aurait scellé le destin de cet endroit. Tout de même, pourriez-vous attendre quelques jours ? Le cas échéant, nous serions en mesure de vous financer également.

— Vous n’avez pas besoin d’argent pour les réparations ?
— Vous nous connaissez bien.
— Quel intérêt de piocher dans vos réserves, juste pour me payer ? Ça ne vous aidera pas. J’apprécie l’offre, mais non merci.

La dernière chose que je souhaitais, c’était de me retrouver redevable de quelqu’un. De surcroit, cela n’aurait pas aidé ma réputation déjà bien entachée. Tout le monde penserait que j’aurais rançonné ce village.

— Alors, nous vous fournirons quelque chose de plus pratique. Dites-moi, Héros, est-ce que le commerce itinérant vous intéresserait ?
— Le commerce itinérant ?
— Oui, quand vous allez de village en village, de cité en cité, pour vendre des articles. Il semble que vous vous financez en vendant des matériaux et des remèdes. Si le cœur vous en dit, nous pourrions vous aider dans ce domaine.
— Hein ?

Ils parlaient d’une sorte de marchand itinérant ? En d’autres termes, au lieu de m’orienter vers l’apothicaire, je pourrais atteindre directement les clients…
Voilà qui demandait réflexion. Jusqu’à présent, je m’étais focalisé sur l’aspect production, mais, en suivant leurs recommandations, je pourrais aussi me pencher sur la partie vente. Cela devrait me rapporter pas mal.

— Sans compter, Héros, que vous possédez un Filolial. Cette bête vous conduira d’un endroit à un autre avec une vitesse et une facilité certaines. Si vous conduisez un attelage, votre commerce n’en sera que plus aisé. Si vous le souhaitez, nous vous fournirons un laissez-passer commercial.
— Un laissez-passer commercial ?
— Oui. En théorie, les marchands itinérants doivent rendre visite au gouverneur local lorsqu’ils pénètrent pour la première fois dans un village ou une ville, et lui payer une certaine somme pour faire des affaires en ce lieu. Toutefois, si vous montrez ce laissez-passer commercial, avec mon sceau apposé, alors vous n’aurez rien à verser. Je pense que vous trouverez cela plutôt utile.

Il me fallait réfléchir. Ce village agricole était très proche de la capitale du royaume de Melromarc, et il était placé relativement proche des routes commerciales. Se voir confié la gestion d’un tel endroit devait impliquer un certain niveau d’autorité et de dignité. Les habitants étaient conscients que leur foyer avait été sauvé durant la vague grâce à mes efforts. Ils avaient également dû avoir vent des rumeurs à mon sujet et de tout ce que le roi m’infligeait, prêt à tout pour me priver de ma liberté. Ils savaient aussi que ma réputation compliquerait tout commerce futur, et ils offraient par conséquent leur coopération.

— Je pense que cela vous aidera lors de la conduite de votre commerce en dépit d’une réputation bien mal en point. Nous aimerions écarter les obstacles qui se présentent à vous, et nous estimons que cela vous rendra la vie plus facile.

Ils m’acceptaient et se montraient gentils. Un sentiment de gratitude sincère m’envahit.

— Merci. J’accepte cette offre généreuse.

En vérité, cette compensation était vraiment formidable, et il nous serait normalement plus facile de gagner convenablement notre vie. Ils nous proposaient même de construire une calèche pour Filo.
Parfait… c’était nettement mieux que de pousser une brouette.

— Bien, quoi qu’il en soit, retournons aux réparations, voulez-vous ?
— Oui.

Les villageois acquiescèrent en même temps que Raphtalia. Nous reprîmes tous nos activités laissées en suspens depuis le passage de la troupe de Motoyasu.

— Gah !

Filo ne se sentait plus, tout excitée d’avoir son propre attelage.

— Bien. Allons dans la forêt !
— D’accord !
— Gah !

Je leur montrai la direction à suivre, et Filo gazouilla d’excitation en commençant à tirer la charrette.

*Cliquetis* *Cliquetis*

Ah… C’était si paisible, si plaisant.

*Cliquetis* *Cliquetis* *Fracas* *Fracas*

Filo se mettait à tracter de plus en plus vite, et nous dévalâmes sous peu la route.

— Tu fonces trop ! Ralentis !
— Je ne me sens pas très bien…

Raphtalia était étendue à l’arrière de la charrette, soudain malade. Je supposai qu’elle avait le mal des transports.

— Tout va bien ?
— Oui… mais… essaie de ne pas trop secouer cet attelage, Filo.
— Tu as le mal des transports, pas vrai ?
— Il faut croire que oui. Vous vous sentez bien, M. Naofumi ?
— Je n’ai encore jamais été malade.

Il n’y avait pas que l’alcool qui ne me faisait aucun effet. Être sur un bateau ou dans une voiture ne m’affectait pas.
À l’école primaire, nous avions pris le bus pour un voyage scolaire. Je lisais des mangas ou des light novels que j’avais dans mon sac quand mon voisin s’était mis à se plaindre de se sentir mal, et nous dûmes échanger de place. Et puis, je me souvenais aussi qu’à chaque fois que je rendais visite à ma famille éloignée, nous devions prendre le bateau. Tous les autres tombaient malades, sauf moi. Je me rappelle avoir joué sur mon téléphone durant toute la traversée.

— On va s’arranger pour que tu te détendes. Filo et moi allons faire en sorte d’arriver à bon port.
— Merci. Je vais accepter cette proposition…
— Gaaah !
— Pourrais-tu ralentir un peu l’allure ?

Filo continuait sa course, submergée de joie, comme si elle n’entendait pas un mot de Raphtalia.
Après cela, la pauvre finit par vomir sur le bord de la route. Lorsque nous atteignîmes la forêt, elle fit tout ce qu’elle put pour supprimer sa nausée.

— Ugh… ugh…

Je me sentais mal en contemplant son visage pâle. Peut-être que nous aurions dû freiner davantage.

— Désolé.
— Gah…

TFilo aussi baissa la tête, comme si elle culpabilisait.

— Ça… ça va aller.
— Non, pas vraiment. Trouvons un endroit pour que tu te reposes.
— Bien le bonjour, Héros Porte-Bouclier.

Il y avait une petite maison aux abords de la forêt, et un villageois, visiblement bûcheron, en sortit.

— Oui, les habitants m’ont demandé d’aller ramener du bois.
— Hmm… est-ce que votre amie se sent bien ?
— Je pense que oui… Je l’ignore, probablement pas, en fait. J’aimerais qu’elle se repose. Vous avez une idée ?
— J’ai ce qu’il faut à l’intérieur.

Le bûcheron nous conduisit dans la maison, et je prêtai mon épaule à Raphtalia pour qu’elle puisse marcher sans trop de mal. Une fois dedans, nous l’étendîmes sur le lit.

— Allons trouver dans le coin des ennemis suffisamment faciles à gérer pour Filo. On n’aura ensuite qu’à se concentrer sur la livraison.

Raphtalia semblait avoir rapidement le mal des transports, il allait nous falloir ralentir un peu le rythme.

— Rendez-moi service et chargez le bois dans la calèche, si ça vous convient. On revient dans quelque temps.
— D’accord.

Je libérai Filo de l’attelage, et son regard alla de la maison à moi.

— Allons-y !
— Gah !

En prenant en compte la gravité du coup infligé à Motoyasu, je m’attendais à de sérieuses aptitudes de combat.
Nous explorâmes la forêt.
Une fois entré profondément en ces lieux, je fus étonné par la faible concentration de monstres. Filo et moi nous contentions de marcher en silence.

Les gens évoquaient souvent le caractère relaxant et apaisant des forêts, mais je n’avais jamais compris pourquoi jusqu’à maintenant.
Cela me rappelait d’ailleurs que, depuis mon arrivée ici, je n’avais jamais eu l’occasion de faire une simple balade pour admirer le paysage.
Je me sentais bien plus en paix, à présent. C’était sûrement en raison de l’expression arborée par Motoyasu après avoir reçu le coup de Filo.
Non, ce n’était pas cela.

C’était parce que Raphtalia avait cru en moi.
Et, maintenant, elle se trouvait allongée dans cette maison, à cause du mal des transports.
Je me sentais… seul.
En repensant à tout cela, cela ne faisait que deux à trois semaines que nous étions ensemble. Pourtant, sa présence à mes côtés me paraissait si naturelle. Elle n’était alors qu’une enfant, et j’avais l’impression que cela faisait une éternité qu’elle avait ce corps d’adulte.

J’avais pris la décision d’essayer d’endosser le rôle de ses parents… mais, qu’étais-je supposé faire exactement ? Sans compter que la prochaine vague approchait.
Nous avions encore un peu plus d’un mois, et pourtant…

— Si seulement il existait une espèce de remède contre le mal des transports…

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