NORDEN – Chapitre 71

Chapitre 71 – La reine de cœur et le roi de trèfle

Le bruit des vagues s’échouant contre les galets était reposant. Des mouettes emportées par la brise volaient paisiblement dans le ciel sans nuage où l’astre au zénith baignait Norden de ses rayons dorés. Ambre dormait profondément, la tête appuyée contre l’épaule du Baron qui l’encerclait de ses bras, une main posée sur son ventre dénudé.

Cela faisait deux heures qu’ils demeuraient allongés sur le sable, épuisés par cette courte nuit ainsi que par une étreinte langoureuse qui dura un moment où il découvrit le corps de sa petite proie sous la lumière du jour. La demoiselle, avide de retrouver le contact d’un corps viril contre le sien, s’était laissée explorer, pour le plus grand plaisir de cet homme si inespérément chanceux.

Il regarda le ciel puis déposa un baiser sur le cou de sa protégée et la réveilla calmement.

— Il est l’heure de rentrer, murmura-t-il à son oreille.

Elle ouvrit les yeux, encore dans les vapes, puis étira ses membres. Elle se releva et passa une main sur ses joues chiffonnées par le tissu.

— Mademoiselle semble avoir bien dormi.

— Quelle heure est-il ? demanda-t-elle, groggy.

— Pas loin de treize heures, je suppose.

Elle reboutonna sa chemise, remit son pantalon puis se dirigea vers la mer afin de s’asperger le visage. L’eau glacée lui donna un coup de fouet qui la réveilla instantanément. Elle fit demi-tour et alla rejoindre Alexander qui tenait les chevaux et l’aida à se hisser sur le destrier. Ils repartirent en direction du manoir.

En chemin, Ambre regardait le paysage, se laissant bercer par la beauté de cette nature sauvage et le silence ambiant où seul le bruit régulier des sabots ferrés claquant contre le sol rocailleux résonnait. Alexander ralentit le pas et se positionna auprès d’elle.

— Que dirais-tu de dîner en extérieur ce soir ? Uniquement toi et moi. Je connais un excellent endroit où nous pourrons nous amuser et où la nourriture y est succulente.

Il passa une main dans son dos et la caressa tout en regardant droit devant lui. Elle le dévisagea, sceptique.

— Laissez-moi deviner, je présume qu’il s’agit d’un somptueux domaine où tout est absolument magnifique, au point que moi, petite noréenne de basse classe que je suis, m’y sentirai comme un poisson dans l’eau ?

— C’est effectivement comme ça que nous pourrions qualifier la Belle Époque, bien que tu ais oublié de mentionner l’amabilité de la clientèle qui se trouvera là-bas.

Il lâcha les rênes, laissant son cheval marcher d’un pas traînant. Montaigne s’ébroua et baissa la tête, les oreilles orientées vers l’avant. Ambre fit de même avec Balthazar et attacha les brides à la selle.

— Vous pensez vraiment que ce soit raisonnable ? La provocation risque d’être virulente.

— Oh ! je ne m’en fais pas trop pour cela ! Il est vrai que les vipères seront de sortie et j’espère qu’elles seront là ! L’idée d’aller les aguicher en ta compagnie est assez alléchante. Mais je n’y vais pas pour cela principalement.

— Et vous venez de décider cela à l’instant, sur un coup de tête ? Ou le fait de vous sentir soudainement plus léger vient de vous faire pousser des ailes ?

Alexander réprima un rire.

— La deuxième est fort probable, quant à la première, sache que je chéris depuis longtemps l’idée de me rendre là-bas avec toi à mes côtés. C’était d’ailleurs mon intention principale hier. Je voulais te tester afin de savoir si tu étais capable de passer un moment aussi près de ma personne et t’annoncer mon verdict après notre session qui, comme tu le sais, a subi quelques petits imprévus.

Il se rapprocha un peu plus et fit glisser une main sur sa nuque qu’il pressa légèrement.

— Je pense, sans trop vouloir m’avancer, que je n’ai plus vraiment à m’inquiéter là-dessus désormais, ironisa-t-il.

— Je suis désolée d’avoir contrecarré votre merveilleux programme, répliqua-t-elle en écartant sa main. Mais vous auriez tout aussi bien pu résister et me repousser comme vous savez si bien le faire.

— L’occasion était trop belle, je m’en serais voulu de ne pas l’avoir saisie, avoua-t-il avec amusement.

Ils continuaient de sillonner la côte déserte, longeant les falaises qui surplombaient l’océan. Au loin, en contrebas, la ville de Varden et son port se dessinaient. Amarré entre la Goélette et l’Alouette, l’Albatros, dont le harpon brillait au soleil, trônait avec majesté.

On dirait que la Goélette est prête à partir pour son voyage annuel, pensa-t-elle en voyant le voilier toute voiles dehors.

Les premiers grands domaines firent leur apparition, disséminés de part et d’autre de la route, intercalés entre de vastes hectares forestiers privés. Le premier, à leur gauche, appartenait à la famille des von Dorff. Ambre scruta d’un œil mauvais le portail en fer forgé estampillé des armoiries de leur ennemi, où une Hydre à trois têtes était incisée dans un cartouche en marbre.

— Pourquoi ne m’y emmenez-vous que maintenant ?

— Je ne pouvais me permettre de t’inviter plus tôt au vu de ta fragilité émotionnelle de ces derniers mois. Je ne voulais pas courir le risque de te confronter directement avec des membres de l’Élite, alliés comme rivaux. Car tu le verras ce soir, ils sont impitoyables et ne manqueront pas la moindre occasion de te ridiculiser et de titiller tes nerfs.

— Dans ce cas, pourquoi tenez-vous tant à ce que je vous accompagne ? Vous savez que je ne suis pas la plus douée en matière de diplomatie et que je pourrais, même malgré l’amélioration de mon état, tout à fait succomber à la tentation d’en étriper certains ! Je ne pardonnerai jamais ce qu’ils ont fait, l’Élite doit crever jusqu’au dernier !

Un groupe d’enfants jouait au ballon dans le parc du domaine. À la vue de ces jeunes s’amusant en toute innocence, riant à gorge déployée en dehors de toute pensée de conflit, le cœur de la jeune femme se serra.

Qui sait combien de victimes collatérales fera cette guerre ? Ces enfants ne sont pas si différents d’Adèle. Pourtant, il y aura forcément des morts dans cette bataille si le conflit se poursuit, dans leur camp comme dans le nôtre.

— Non, tu ne feras rien, de la même manière que tu ne crains absolument rien là-bas. Le domaine appartient aux de Rochester, c’est un lieu neutre et bien gardé, ayant pour but le dialogue et l’échange.

Ambre détourna le regard du manoir et soupira.

— Et moi qui pensais que pour une fois j’existais à vos yeux autrement que comme un pion ou un atout !

— Il ne s’agira pas d’un dîner galant, malheureusement, fit-il en reprenant ses rênes. Du moins pas cette fois-ci.

— Que serais-je pour vous là-bas ?

Il lui adressa un sourire charmeur.

— À toi de voir : acolyte, amie, concubine si tu le souhaites… choisis la carte que tu décideras de jouer dans la partie de ce soir. Même si je trouve que le rôle de la dame de cœur t’irait bien.

— À vous entendre, je pencherais plutôt pour le valet de pique ! railla-t-elle après une grimace.

Elle sortit son paquet de cigarettes et s’en alluma une qu’elle porta à ses lèvres.

— Quel intérêt avez-vous de vous rendre là-bas ?

— J’ai encore quelques partisans sein de l’Élite, peu, mais je tiens à garder la main mise sur eux avant qu’ils ne décident de rallier le camp adverse. Ce qui est fort probable si je n’interviens pas au plus vite.

La jeune femme expira, la main tressaillant légèrement.

— Vous jouez à un jeu dangereux et risquez surtout d’engager une attaque à votre encontre, non ?

— Non, du moins je ne l’espère pas ! Et une partie de mes partisans a déserté Iriden. Je sais qu’ils se retrouvent à la Belle Époque de temps à autre pour parlementer. Je veux donc les rassurer et rallier de nouveaux partisans à ma cause, si cela m’est possible. En m’affichant publiquement avec toi cela me donnera du poids, je veux leur prouver que je suis tout à fait capable de pouvoir leur tenir tête et que toi, jeune noréenne, tu as tout un peuple derrière toi prêt à se joindre à moi dans cette lutte. Rien n’est fait, bien sûr, mais ils n’en savent rien.

Ambre hocha la tête et se mordilla les lèvres.

— L’Élite gagne chaque jour des partisans et il m’est difficile de contenir les foudres de la population face à leur colère montante due aux effets de l’embargo et à l’annexion du territoire est par les Hani. Colère qui risquerait de s’aggraver au fil des ans au vu du régime économique que je m’apprête à appliquer pour la suite afin de maintenir notre survie et d’engager un nouvel équilibre avenir.

— Vous ne voulez pas attendre la signature du traité ? Qui sait si les noréens s’engageront auprès de nous.

— Non, car j’ai bien peur que si je n’interviens pas de suite pour leur semer le doute, la signature d’un éventuel traité risque d’être compromise à jamais. Un autre coup d’État pourrait survenir bien avant et je n’ai pas assez de milices pour leur faire face, même en comptant les forces supplémentaires envoyées par les Hani ou la sécurité menée par la pacifique Garde d’Honneur.

Il se redressa et porta son regard au loin, l’air digne.

— C’est un coup risqué, je l’avoue, mais il mérite d’être tenté. Je n’ai rien à perdre dans cette tentative. Il faut nous montrer forts, inébranlables. Leur prouver que nous ne ploierons pas devant l’adversité. Nous les condamnerons un à un, même si cela pourrait me prendre des années. Ils paieront pour leur crime et la justice fera loi.

Par Alfadir, sa volonté me surprendra toujours. C’est à croire que rien ne l’effraie. Je me demande pourquoi il s’implique autant de la sorte et surtout pourquoi déteste-t-il tant les siens ? Pourquoi en veut-il autant à l’Élite ? Il n’y a pas que de la défiance là-dedans, mais aussi énormément de rancune et de rancœur.

— Nous sommes à un moment crucial, déclara-t-il d’une voix forte et distincte, c’est maintenant que tout se joue. À voir si le peuple daignera se battre. L’ennui est que les noréens de notre territoire ne bougeront pas avant d’être absolument sûrs que leurs paires s’engagent en ma faveur et se battent à nos côtés.

Il se tourna vers elle, la contempla intensément et prit sa main qu’il pressa dans la sienne.

— Nous allons jouer une nouvelle partie en duo ce soir. En espérant que cette troisième collaboration soit autant de bonne fortune que les deux autres.

Elle lui sourit timidement, faisant pianoter ses doigts libres contre sa selle avec une pointe d’appréhension.

— Je te sens troublée, dit-il en remarquant son embarras.

— Un peu, je l’avoue, je ne m’attendais pas à ce que la situation soit aussi tendue ni même que mon engagement à vos côtés puisse avoir finalement autant d’impact. Je n’aurais jamais cru avoir autant d’importance sur la politique de l’île, d’être l’une des figures de proue d’un mouvement qui me dépasse et dont je ne connais pas grand-chose.

— La tension est latente, une simple étincelle et les deux villes s’embrasent. Quant à ton rôle, tu comprends pourquoi je m’entêtais autant à te faire donner des cours auprès de madame Gènevoise !

Elle hocha la tête avec lenteur, sans réelle conviction.

— Sache que je ne m’attendais pas à ce que tout s’emballe aussi rapidement. Les événements se sont déroulés trop brutalement, j’ai dû faire face à des réactions en cascade allant de mal en pis et comprenant de nombreux imprévus. La faute surtout à ce foutu Friedrich d’avoir osé enlever la jeune Imperà Hani.

Il fronça les sourcils et pesta :

— Quelle n’a pas été ma surprise lorsque tout juste élu, je reçus une lettre de la part de Hangàr afin de le rejoindre au plus vite et de céder à ses multiples conditions pour éviter un potentiel conflit avec lui. Notamment lui céder la côte est qui n’a fait qu’aggraver les tensions au sein de la communauté aranoréenne. Maintenant, une bonne partie de Wolden et Exaden est à Varden… plus de trente mille nouveaux arrivants furieux contre moi, dont plus de cinq mille soldats et marins !

Il grogna et serra les poings. Ambre nota qu’il fulminait et voyait sa cage thoracique se gonfler avec vigueur.

— Maintenant je suis pris à la gorge par de Laflégère et ses hommes qui ont fâcheusement rallié l’Hydre, grossissant leurs rangs de plusieurs milliers de têtes !

Elle baissa les yeux et regarda son cheval avancer, mettant machinalement une patte devant l’autre.

— Je ne comprends pas pourquoi Alfadir n’intervient pas pour nous aider, cela devrait pourtant servir son intérêt et celui de son peuple…

— J’ai deux théories diamétralement opposées à ce sujet. La première est qu’il désire tester notre volonté, que l’on prouve que nous, peuple aranoréen, sommes dignes de lui et méritons son soutien.

— Et la deuxième ? s’enquit-elle après un temps.

— L’exact inverse. Qu’il nous en veut d’avoir enlevé ses enfants et qu’il nous laisse, par conséquent, nous entre-déchirer. Cela expliquerait pourquoi il a interdit à sa guerrière Sonjà de mener un assaut contre nous, désirant possiblement nous voir diminuer dans l’espoir de nous attaquer plus tard sans que nous puissions lui résister.

Ambre termina sa cigarette, frotta le mégot contre sa selle afin de l’éteindre et le jeta d’une pichenette sous l’œil réprobateur de l’homme qui se tenait à côté d’elle.

— Cela se pourrait, répondit-elle, songeuse. Mais dans ce cas, comment se fait-il qu’il n’ait pas empêché le rapt de ces noréens ? C’est étrange pour un être censé être clairvoyant et proche de son peuple !

— Si l’on part du principe que le cerf est au mieux de sa forme. Or, comme l’a annoncé Friedrich, le Aràn est diminué à cause de son combat contre Jörmungand. Comme je te l’ai déjà dit, il ne serait pas impossible qu’il ait perdu de sa lucidité et dispose pleinement de ses capacités.

Un somptueux manoir s’ouvrait à leur droite, en bord de mer, au jardin foisonnant de sculptures à l’effigie de la marine. Ambre observait les statues avec un vague intérêt et comprit qu’il s’agissait du domaine des de Lussac.

Blanche, Meredith et son fils doivent très certainement y être.

— D’ailleurs, à ce propos. Avez-vous des pistes concernant l’identité de l’homme pour qui le Duc travaillait ou des potentielles origines d’Irène et de ma mère ?

— Pas la moindre information supplémentaire, je le crains. J’ai déjà eu tellement à faire que je ne me suis pas penché sur la question depuis des mois. Mais j’ai bon espoir de pouvoir m’entretenir avec Irène lors de son mariage prochain afin de lui soutirer quelques informations.

— J’ai l’impression que Blanche a des informations sur le sujet. En parlant avec elle l’autre jour, je l’ai trouvée bien différente de ce qu’elle laissait paraître. Et surtout, elle semblait avoir quelques révélations sur ma mère, mais je pense qu’elle ne me les dévoilera jamais.

— Ah les secrets… ils font vivre et tourner le monde depuis l’éveil de l’homme. Qui sait où nous en serions actuellement si le mensonge et la tromperie n’existaient pas ?

Ambre eut un pincement au cœur en entendant ces mots. Elle se disait honnête, mais elle avait souvent recours au mensonge afin de préserver l’innocence de sa cadette.

Il va bien falloir que je lui avoue un jour pour notre mère et son père. Ce serait cruel d’en exiger autrement. Je ne peux pas me permettre de la laisser s’en rendre compte par elle-même, elle m’en voudrait encore plus ! Je lui dirai à son retour. Je ne veux pas risquer de la briser avant son séjour.

Ils arrivèrent au manoir. Alexander descendit de Montaigne et s’entretint avec Pieter. Ce dernier écarquilla les yeux puis s’inclina poliment avant de ramener les deux chevaux à l’écurie. Le Baron tendit son bras à la jeune femme et rentra en sa compagnie.

— Adèle est chez Ferdinand, l’avertit-il, Maxime ne la récupérera pas avant vingt heures. Tu as donc toute l’après-midi pour te reposer.

Ambre acquiesça, déçue de ne pouvoir bavarder avec elle. Sa présence lui aurait permis de se détendre avant cette soirée spéciale qu’elle commençait à appréhender.

— Quelle tenue dois-je porter ? Y a-t-il un code vestimentaire à avoir ?

— Émilie te conseillera, elle est plutôt douée en la matière. Je te veux prête à partir pour dix-neuf heures. Cela te laisse pleinement le temps pour te reposer et t’habiller.

Ils entrèrent et montèrent à l’étage. Voyant que personne n’était présent, Alexander la prit par la taille et l’embrassa.

— Sois en forme ! susurra-t-il à son oreille.

Elle accueillit chaleureusement ce baiser puis défit son étreinte en le repoussant du bout des doigts. Elle lui adressa un sourire mesquin et partit la tête haute, marchant sur la pointe des pieds avec un déhanché impétueux, sous l’œil amusé de son cavalier. Une fois seule, elle se déshabilla et s’allongea sur le lit, les bras écartés. La mine rêveuse, elle huma la chemise qu’elle venait d’ôter, imprégnée de l’odeur du Baron. Ce parfum fit rejaillir un foisonnement de souvenirs doux-amers ainsi qu’une sensation délicieuse, empreinte de légèreté.

Ma parole, voilà que je l’aime à présent ! C’est impensable… pourtant l’évidence est là ! Je ne peux le nier.

Elle s’endormit, la tête et le corps lovés dans la literie dont la texture moelleuse lui caressait la peau telle une étreinte charnelle. Quelques heures plus tard elle fut réveillée par Émilie qui toqua à sa porte. La domestique entra et lui adressa un sourire. Elle portait entre ses mains un plateau sur lequel étaient disposées une tasse de café ainsi qu’une coupelle contenant une viennoiserie et une pomme coupée en quart, commandé par son hôte à son intention.

— Je vous apporte une collation, mademoiselle. Vous devez avoir faim, vous n’avez rien avalé depuis ce matin.

Elle posa le plateau sur la table de chevet et alla lui faire couler un bain. Ambre la remercia, mangea la viennoiserie et dégusta le fruit qu’elle croqua avec avidité. Dès que le bain fut prêt, elle se leva et s’installa confortablement dans la baignoire où l’eau savonneuse parfumée de sels de bain exhalait une senteur florale. Émilie se plaça juste derrière elle afin de lui laver les cheveux couverts de sable.

— Vous avez l’air détendue, cela fait bien longtemps que je ne vous avais pas vue ainsi, gloussa-t-elle, sauf peut-être hier soir après votre session de danse qui, au vu de votre état à tous les deux, a due être fort tumultueuse !

Ambre pouffa et se laissa bercer par le contact de l’eau chaude contre sa peau. L’esprit assailli de pensées érotiques, elle frissonna. Le mouvement des doigts d’Émilie contre son crâne produisait un massage relaxant. Les membres cotonneux, elle s’extirpa de l’eau, prit la serviette posée sur le radiateur en fonte puis alla vers sa penderie. Elle examina les robes, ne sachant où porter son choix.

— Que devrais-je porter ?

— Ma foi, cela dépend de vos intentions, répondit la domestique en lui adressant un sourire malicieux.

— Plutôt quelque chose de sobre dans ce cas. C’est ma première sortie officielle, je ne tiens pas à être plus remarquée que je ne le serai déjà.

— Dans ce cas, orientons-nous sur une robe noréenne. Vous en avez une très jolie couleur amande. Elle passe en toute occasion, les motifs floraux ainsi que les broderies sont délicats et le laçage rose poudré vous donnera l’impression d’être endimanchée.

La jeune femme se mordit la lèvre et scruta la robe d’un air sceptique. Devinant son trouble la domestique précisa :

— C’est une très jolie robe, elle plaira à monsieur !

— Ce n’est pas vraiment ce que vous pensez, répondit Ambre, embarrassée.

— Ah ? Où monsieur vous emmène-t-il ?

— Nous allons à la Belle Époque.

— Oh oh ! monsieur sort le grand jeu !

— Nous y allons seulement pour taquiner l’Élite, Émilie.

— Oh ! oui, je vois ! s’écria-t-elle, les yeux rieurs.

Elle plaça une main sous son menton et réfléchit.

— Hum… Pardonnez mon indiscrétion mais que représentez-vous pour lui, exactement ?

Ambre fit les yeux ronds et sentit le sang lui monter aux joues. Il y eut un silence gênant où elle tenta de trouver les mots justes sur ce qu’elle voulait renvoyer comme image à cet homme. Après mûre réflexion, elle opta pour le terme « partenaire », un mot à double sens et tout à fait à propos pour la soirée qui s’annonçait. Elles étudièrent les robes et s’orientèrent sur celle qu’elle avait portée la veille au soir lors de sa session de danse, à la fois sobre et raffinée.

Et si facile à dégrafer !

Elles choisirent également un châle en velours noir sur lequel Ambre épingla son médaillon luisant d’un éclat cuivré. En guise de chaussures, elles portèrent leur choix sur des souliers noirs à bout arrondi et à lacets dorés.

Émilie observa attentivement le visage de sa maîtresse.

— Pour la coiffure, j’opterai pour un chignon, cela mettra en valeur votre nuque. Quant à votre cicatrice, même si elle n’est plus aussi visible qu’autrefois, je peux vous l’atténuer avec de la poudre mais je ne ferai pas de miracle.

— Faites comme vous le souhaitez Émilie, je vous fais entièrement confiance.

Elle la fit asseoir devant la coiffeuse et s’attela à la tâche. Chose faite, Émilie sortit une boite à bijoux et prit une barrette à plume de faisan qu’elle épingla dans sa chevelure. Elle ajouta pour tout maquillage un simple trait de rouge à lèvres pourpre, donnant à sa bouche une subtile couleur sanguine, ainsi qu’un trait de far noir sur le haut de l’œil. Pour finir, la domestique eut l’idée de lui mettre de longs gants et les lui enfila. Ambre se leva et se contempla. La robe épousait la forme de ses seins et de sa taille, accentuée par le fin ruban de soie doré qui la cintrait. Le fait de garder les jambes apparentes la séduisait, elle allait pouvoir se montrer légèrement provocante vis-à-vis de ces aranéennes pudiques, tout en gardant une certaine sobriété dans sa coiffure. Ce soir, elle allait incarner un double symbole, portant non seulement les intérêts du peuple mais également sa relation future avec l’homme qui se tiendrait auprès d’elle.

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