NORDEN – Chapitre 86

Chapitre 86 – Installation

Le dos voûté et la face rouge, Théodore posa le chargement et souffla avant de s’essuyer le front à l’aide de sa manche pour y capturer la sueur. Hors d’haleine, il s’étira et fit craquer ses os, les muscles endoloris par l’effort ; lui et Antonin venaient de transporter une lourde malle qu’ils avaient acheminée dans l’une des chambres de l’étage, sous les indications de Meredith. Cette dernière les encourageait à grands coups d’applaudissements et d’éloges, jouant de ses charmes pour les amadouer tout en agissant de manière mignonnement tyrannique envers ces deux chambellans serviables.

Ses étirements effectués, le brunet gémit de plaisir, heureux d’avoir enfin terminé cette tâche qui leur avait pris l’entièreté de la matinée. Il leur avait fallu pas loin de trois aller-retour entre le manoir von Hauzen et la Marina, pour récupérer l’ensemble des paquetages. Les deux fiacres furent prêtés par Léopold de Lussac, le père d’Antonin.

Le marquis avait gracieusement missionné certains de ses domestiques pour leur prêter main forte, laissant ces dames de haut rang le soin d’organiser l’agencement des pièces et de visiter leur nouvelle demeure. Néanmoins, l’équanime Irène von Hauzen demeura chez elle, inspectant une à une les nombreuses pièces de son vaste domaine. Elle était escortée par monsieur le notaire Éric de Malherbes et par monsieur Alastair von Dorff, huissier de justice, ainsi que par leur cohorte dont le rôle était de s’assurer que madame n’oublie rien. Car, une fois cette ultime journée écoulée et les clés du manoir cédées, elles auraient interdiction d’y retourner, qu’importe le motif.

Leur manoir ainsi que tous les biens restants allaient être mis en vente aux enchères pour être vendus au plus offrant sans que madame la duchesse et ses filles ne pussent hériter pleinement du montant. Elles n’obtiendraient qu’un faible pourcentage qui avoisinerait certainement une somme leur permettant de vivre modestement une demi-douzaine d’années. Les charognards opportunistes lorgnaient avec une malsaine avidité cette fortune immobilière et mobilière, s’ébaudissant devant ces luxueux objets d’époque qui se revendraient à prix d’or chez des acquéreurs passionnés, plus que ravis de les dépouiller.

C’était la première fois que Théodore se rendait dans la demeure secondaire de son ami. Et à peine avait-il mis un pied sur le palier et observé l’intérieur de l’entrée qu’un ricanement involontaire s’était échappé de sa bouche. En effet, le marquis de Lussac était un riche collectionneur féru de la marine et à tout ce qui pouvait s’y raccrocher. Ainsi, la moindre pièce arborait un foisonnement de babioles aussi clinquantes qu’inutiles sur chaque meuble et parcelle murale. Même les rideaux ne pouvaient s’empêcher d’afficher des estampes de coquillages et crustacés.

— Merci les garçons ! s’écria Meredith en leur apportant un verre de citronnade qu’elle leur tendit avec un immense sourire aux lèvres.

Théodore lui rendit son sourire et prit le verre qu’il porta à ses lèvres, laissant le liquide frais et désaltérant couler le long de son œsophage avant de l’avaler d’une traite. Il manqua de s’étouffer en regardant la jeune duchesse et son amant s’embrasser à pleine bouche sans une once de pudeur. Le bruit de leur échange buccal titilla les ardeurs du célibataire qui détourna les yeux, vexé de ne pas posséder sous la main quelques donzelle ou midinette avec qui partager pareil plaisir.

Quelle folie d’avoir voulu suivre son ami qui avait grandement insisté pour qu’il lui tienne compagnie durant cette étape. Seulement, Antonin avait peu discuté auprès du brunet, trop occupé à apaiser sa dulcinée en détresse. Les seuls échanges furent lorsqu’ils s’aidèrent mutuellement à transporter malles et cartons qui pesaient autant qu’un âne mort tant ils étaient lourds et compacts.

Dès qu’il eut terminé de boire, la duchesse récupéra le contenant et fit demi-tour afin de s’extirper de la pièce. Elle fut suivie par son amant qui la tenait fermement par la taille, palpant sa robe noréenne faite d’un textile si léger qu’il était possible d’entrevoir les détails anatomiques ainsi que les motifs de la flanelle qui lui servait de jupon. Son étoffe couleur bleu paon laissait dévoiler sa paire de jambes fuselées dont les souliers à talons hauts accentuaient la finesse.

Le brunet les suivait juste derrière, tentant de ne pas loucher sur la silhouette de cette femme à la peau ambrée dont la démarche langoureuse était fortement aguichante. Tous les domestiques encore présents furent congédiés par leur maître Antonin qui leur ordonna de regagner le manoir avec les deux voitures.

En regagnant la cuisine, située juste à l’entrée du rez-de-chaussée, un sourire illumina le visage du brunet en apercevant Blanche devant l’évier. De ses bras minces, elle découpait des fruits frais afin d’en composer une salade qu’elle s’apprêtait à servir à ses hôtes pour les remercier.

Contrairement à sa sœur, la duchesse à la peau opaline avait été totalement absente lors de la matinée, n’étant apparue que pour regrouper ses affaires au manoir von Hauzen et donner des directives aux transporteurs. Elle n’était venue ici que lors du dernier voyage où elle avait préféré monter dans un fiacre à part, passant devant les deux marquis sans leur adresser l’ombre d’une parole.

Théodore n’était pas dupe ; sous ses airs de femme maîtrisée, la duchesse avait affiché des yeux rougis et parlé avec de subtils soubresauts dans la voix lorsqu’il était venu la saluer par simple courtoisie. Il avait secrètement espéré rester auprès d’elle le plus longtemps possible. Cependant, la jeune revêche l’avait congédié sitôt les salutations effectuées pour demeurer seule dans la cuisine, ne prenant même pas le soin d’explorer sa nouvelle résidence.

En la voyant à nouveau d’aussi près, le jeune marquis ne put s’empêcher de la contempler avec un ravissement mal contenu et s’attarda sur elle avec une certaine indécence. Que cette femme était belle, ne cessait-il de se répéter en boucle. Tout chez elle n’était que douceur et finesse, d’une incroyable fragilité contrebalancée par un caractère dominant et hautain.

Elle se révélait une main de fer dans un gant de velours ; des gestes précis et retenus, un visage altier, une tête dressée sans qu’aucune émotion n’en émane et des yeux troublants à l’éclat vif qui semblaient aspirer l’âme au moindre battement de cils. Elle possédait une bouche rosée éternellement close et arborait un chignon impeccable en guise de coiffe. Une pince habillait ses cheveux blonds aux reflets dorés sans qu’aucune mèche indiscrète ne s’en échappe, ce qui avait le don d’accentuer la finesse de son cou élancé aussi délicat que celui d’un cygne. Sa peau laiteuse semblait lisse et sans la moindre aspérité, mettant en valeur les éphélides situées sur ses joues aux pommettes hautes, la faisant paraître comme une poupée de porcelaine.

Quant à sa silhouette, elle était similaire à celle de sa jumelle, bien qu’encore plus menue et longiligne. Sa robe d’une teinte vert amande de style aranéen s’étendait jusqu’en bas de ses pieds, dissimulant ses chevilles et ne laissant visibles que ses bras voilés de sa peau veloutée ainsi que ses clavicules. Une fine ceinture la cintrait sous la poitrine, dessinant ses petits seins ronds dont un bout de téton s’esquissait subtilement sous cette étoffe légère de robe estivale.

Le jeune marquis fut extirpé de sa rêverie par son ami qui lui donna un vif coup de coude tout en lui adressant un sourire moqueur. Le garçon toussota et se ressaisit avant de s’installer à table où leur sublime hôtesse vint leur servir un thé. Lorsqu’elle passa près de lui, il fut transporté par une étrange sensation de satisfaction, humant son parfum floral à fortes notes de lilas blanc terriblement enivrantes. Le souffle frais de cette senteur lui hérissa l’échine en un frisson incontrôlé.

Une fois que les convives et sa sœur furent servis, ayant devant eux une tasse de thé aux effluves floraux ainsi qu’une coupelle garnie de fruits baignés dans un zeste de liqueur de citron, la duchesse à la peau opaline s’installa à une chaise, juste à côté du brunet. Elle s’assit d’un geste superbe, prit gracieusement sa cuillère du bout des doigts et commença à manger dans le plus grand des silences, peu encline à lancer une conversation.

— C’était très aimable à vous d’être venus nous aider ! s’exclama Meredith. C’est vrai que ce sera tellement plus pratique pour nous de vivre ici, toutes les trois. Au moins on aura la chance d’avoir à portée de main tout ce qu’Iriden peut offrir en termes de confort.

Toute à son aise, elle se frotta avec nonchalance contre le torse de son bien-aimé. Son emportement dérouta le brunet qui humidifia ses lèvres, confus de les voir ainsi alors que la jumelle était présente. Son malaise s’accentua lorsqu’il s’aperçut que son ami, la main baladeuse, palpait la cuisse de son amante, retroussant l’étoffe afin de dévoiler l’entièreté de ses cuisses. Blanche se leva, débarrassa sa coupelle encore à moitié pleine et sortit de la pièce.

Par réflexe, Théodore la regarda s’éloigner en la suivant d’une œillade qui se voulait discrète, gêné et déçu de ne pas avoir pu échanger la moindre affabilité auprès de son hôtesse.

— Ta sœur est toujours aussi frigide à ce que je vois, se moqua Antonin.

— Oh tu parles ! fit Meredith en levant les yeux au ciel. Je ne la comprendrai jamais. C’est pas avec ce comportement qu’elle parviendra à trouver un mari ! Surtout que maintenant elle ne pourra plus compter sur le titre, la renommée et la fortune pour y parvenir. Seule sa beauté pourra charmer un prétendant, si tant est que mademoiselle Blanche daigne sourire.

— Elle n’a jamais eu personne ? s’étonna-t-il.

— Oh non une vraie coincée ! Elle a beau être ma sœur, je ne comprends pas comment elle peut être à ce point frigide, on dirait une vierge effarouchée ! On est diamétralement opposées sur ce terrain-là. Je souhaite bon courage à l’homme qui tentera de l’approcher et parviendra à dépuceler cette femme aussi froide qu’un glaçon !

— Froide certes mais elle n’a pas l’air de laisser de marbre notre cher Théodore, annonça-t-il mesquin.

Le brunet sentit soudainement ses joues s’empourprer, devenant aussi rouges que la statue d’écrevisse qui ornait le dessus de la cuisinière.

— Ne… ne dis pas n’importe quoi ! bégaya-t-il. Je suis juste poli et courtois envers notre hôte, rien de plus.

Le visage de son ami dessina un sourire malin.

— Oh oui, c’est pour cela que tu la dévores des yeux, prêt à la déshabiller. Un soupir et un battement de cils de sa part et tu la croques.

— J’avoue qu’elle est magnifique ! avoua-t-il en passant une main dans ses cheveux. Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu le plaisir de la voir d’aussi près. Après, c’est purement esthétique si je la contemple.

— Oh arrête ! T’en pinces pour elle, tu souris comme un benêt depuis tout à l’heure ! railla le blondin.

À ces mots Meredith rit à gorge déployée.

— Ah bah bon courage si tu espères la courtiser ! se moqua-t-elle sans la moindre pudeur. Car au vu de son comportement et surtout vu comment elle connaît vos frasques à tous les deux, tu peux être sûr que jamais elle ne se laissera approcher par un gars comme toi.

Théodore la regarda avec sévérité, la mâchoire crispée.

— Que veux-tu dire par là ?

— Franchement ? Tu sais très bien ce qui se passe, personne n’est dupe. Elle ne sera pas encline à vous pardonner pour vos méfaits, sache-le. Contrairement à moi, Blanche ne se laissera pas approcher par des hommes comme vous. Elle vous trouve trop malsains et trouve dangereux que des hommes comme vous se baladent en toute impunité dans les rues au risque d’agresser n’importe quelle personne.

— Mais on ne lui a jamais rien fait ! s’indigna-t-il. Jamais nous n’aurions porté atteinte à une duchesse !

— C’est pas ça le problème ! rétorqua-t-elle sèchement. Elle a encore en tête vos innombrables altercations et surtout votre tentative de viol à l’égard de mon amie. Elle ne comprend pas comment j’ose vous fréquenter au vu de ce que vous avez infligé à Ambre et à Anselme !

— Mais on sait qu’on a merdé à ce niveau-là ! répliqua Théodore en se frottant les yeux avec agacement. On assume nos actes et c’est bon, je pense qu’on va assez payer notre dette pendant au moins douze ans auprès du Baron von Tassle ! Douze ans à bosser pour lui, pendant ses douze longues années de mandat ! Douze ans pendant lesquels nos pères doivent le soutenir à chacune de ses décisions alors qu’ils n’ont clairement pas les mêmes idéaux !

— C’est surtout aberrant que ta sœur se comporte ainsi envers nous alors que mon père va la loger gratuitement chez nous sans rien exiger en retour, renchérit Antonin.

Elle fronça les sourcils et pesta.

— Oui, mais quand on connaît votre passif et l’emprise qu’Isaac avait sur vous en vous poussant à commettre toutes ces horribles choses, je peux comprendre qu’elle soit réticente à vous côtoyer. Après, je la trouve affreusement ingrate qu’elle ne fasse pas un minimum d’effort pour apprendre à vous connaître. Elle me sermonne et me conseille vivement de ne pas vous côtoyer. « Pour mon bien » ose-t-elle me dire même ! Et tu as raison mon chéri, je pense que je vais lui préciser que c’est en partie grâce à moi qu’elle est logée à présent !

Théodore fit la moue et croisa les bras, énervé par cette révélation. Il ne comprenait pas pourquoi tout le monde revenait en permanence sur cet événement.

— Comment va la rouquine d’ailleurs ? s’enquit le blondin. Ça fait longtemps que tu ne m’as pas parlé d’elle.

Meredith haussa les épaules et termina sa bouchée.

— Je n’ai pas eu trop de nouvelles d’elle ces temps-ci. Je sais qu’Ambre vit chez le Baron dorénavant, et bien qu’elle le supporte encore très mal, elle tente de s’en accommoder, ne serait-ce que pour le bonheur de sa petite sœur. Après, en ce qui vous concerne, elle vous déteste et souhaite votre mort, que ce soit par rapport à son agression ou au lynchage d’Anselme. Si elle le pouvait, elle vous tuerait sans aucune pitié. J’essaie de la convaincre à chaque fois que je la vois que vous n’êtes pas aussi mauvais et que c’était à cause d’Isaac si vous étiez des salopards sans morale mais elle refuse de l’entendre. Elle supporte d’ailleurs très mal de me voir avec toi et je pense qu’elle a besoin de temps pour digérer l’information.

Antonin et Théodore échangèrent un regard complice en se rappelant les paroles de leur employeur.

— Dommage pour elle, lança le brunet, von Tassle nous a ordonné de veiller à sa sécurité lors de ses déplacements. Du moins, si on la croise seule dans les rues. Quelle ironie ! Je crois que c’est la plus ingrate des missions qu’il puisse nous confier.

— Et dire que le Baron souhaite la lancer en politique afin qu’elle tente d’amadouer le peuple noréen pour servir sa cause, faut dire qu’elle a de la trempe ! réfléchit Antonin. Enfin, il va falloir quand même arrêter de nous balancer sans arrêt cette histoire sous le nez ! Et puis c’est bon maintenant on a compris, on va se tenir à carreaux.

— C’est surtout qu’il y a vingt ans de cela ces choses là ne posaient pas du tout problème, renchérit Théodore que la colère gagnait, je veux dire, combien de la génération de nos parents ont joui de leurs domestiques noréens sans qu’il n’y ait de sanctions suite à cela ? Combien de noréens se sont fait rosser parce qu’ils ne faisaient pas convenablement ce pour quoi on les payait. Et combien de noréennes ont mis au monde des bâtards parce que les maîtres s’empressaient de les trousser en fin de service. Je trouve que nous étions bien en deçà de ce genre de scandale. Et si cette rouquine n’avait pas voulu avoir de problème, jamais elle n’aurait dû se rendre en haute-ville. C’est donc en partie sa faute si elle a failli passer entre nos mains. Fallait pas venir nous aguicher dans notre fief et rester dans son trou à rat à Varden en compagnie de la vermine tachetée !

— Tu ne peux pas parler comme ça ! s’indigna Meredith, le visage frappé d’effroi. Dois-je te rappeler que je suis moi aussi noréenne ? Que la moitié de mon sang est issue de cette vermine tachetée comme tu dis ? D’où te permets-tu de me dire ces horreurs ou même de les penser ? Je te croyais plus ouvert mais t’es aussi pourri que ton cousin, ma parole !

Comprenant qu’il s’était emporté dans son discours, engagé sur un terrain venimeux dont il ne pouvait bavarder avec elle, Théodore baissa les yeux et s’excusa platement. Mais Meredith, échaudée par la répugnance de ses propos, se redressa et s’emporta telle une hystérique. Pour se faire bien voir par sa dulcinée, Antonin approuvait ses dires. Soumis, il scrutait Théodore avec un regard peiné, conscient qu’il ne désirait pas l’humilier mais qu’il se devait d’agir de la sorte pour conserver son honneur et la bonne entente avec la famille ducale.

Agacé d’en prendre pour son grade et de se sentir lâché par son ami couard que le comportement écœurait, le brunet se leva et prit la direction de la sortie. Avec une rage contenue, il murmura un simple mot d’excuse à l’intention de la duchesse dans l’espoir que cette altercation ne lui porte pas préjudice par la suite. Enfin, il toisa Antonin et partit en claquant la porte derrière lui.

Dehors, il marcha d’un pas alerte sur cette avenue pavée aux larges trottoirs où bancs et arbres taillés s’alternaient. Cette allée des plus nobles était continuellement empruntée par des dizaines de passants et de fiacres.

Au bout d’une quinzaine de minutes, il arriva sur la grande place de l’hôtel de ville. L’horloge de la mairie indiquait midi. La place était submergée de monde à cette heure du déjeuner.

Conscient qu’il n’avait pas beaucoup mangé, il décida de se rendre au Café du Triomphe afin de prendre un repas frugal. Certes, sa dispute et le comportement d’Antonin lui avaient retourné l’estomac. Or, il avait passé la matinée à se dépenser et il lui restait encore cinq kilomètres à faire avant de rentrer chez lui. D’autant que cette brasserie était réputée pour cuisiner des mets à partir de produits frais ramenés des maraîchers et du poisson directement acheté à la criée que les gérants vendaient à prix d’or à leurs consommateurs raffinés. Grand habitué des lieux, le marquis suivit un serveur en costume queue de pie et fut installé à l’étage, proche des vitres afin de jouir du point de vue.

Dépourvu d’entrain, Théodore examina rapidement la carte du menu et commanda la daurade royale accompagnée de sa julienne de légumes. Il ne possédait pas l’appétit nécessaire pour oser porter son dévolu sur une pièce de bœuf dont le prix était exorbitant. Sur Norden, fort rares étaient les élevages bovins, la plupart des bêtes provenaient de Pandreden et étaient acheminées par transports maritimes ce qui rendait cette viande extrêmement chère bien que très prisée. Pendant qu’il patientait, il s’alluma une cigarette qu’il fuma avec acharnement tout en s’accoudant sur le dossier de sa chaise. Puis, légèrement relaxé, il contempla d’un œil vague la place en contrebas.

Le serveur revint une vingtaine de minutes plus tard et déposa devant son client son assiette, à la portion généreuse, dressée méticuleusement. Le fumet dégagé par le mets ouvrit son appétit et il commença à piocher avidement dans son plat.

Il terminait de déguster son poisson lorsqu’une figure familière, sortant du bâtiment de la bibliothèque, attira son attention et lui décrocha un rictus qui lui coupa instantanément toute sensation de faim. Les lèvres pincées, il darda d’un œil noir cette femme de petite taille à la silhouette tout en courbes. Elle arborait une interminable crinière rousse flamboyante attachée en queue de cheval. Un gros corbeau se tenait perché sur son épaule.

— Et dire que si cette garce n’était jamais venue chez nous, tout aurait été différent ! maugréa-t-il en serrant rageusement son couteau.

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