Tate no Yuusha no Nariagari – Chapitre 75

Assumer les conséquences de ses actes
Traducteur : Team Yarashii

Cela sortit tout seul. Mon subconscient devait les haïr autant que moi… ce qui semblait assez naturel.
Toutefois, pour être honnête, il n’y avait pas franchement d’autre option. Quelle punition différente de celle-ci me permettrait d’être enfin débarrassé de ma haine à leur égard ?

— La mort, hmm ? Ma foi, vu tous les ennuis qu’ils ont causés, ça me paraît approprié.
— Oui, et ils ont salement terni la réputation de Melromarc sur la scène diplomatique.

Ren et Itsuki ne furent pas moins implacables que moi, se montrant froids et calculateurs.
Qu’il était facile de se conduire ainsi face au sort d’autrui. Tant qu’il n’y avait pas à assumer la moindre responsabilité pour leurs paroles, ils pouvaient raconter ce qu’ils voulaient.

— Mais, vous ! Vous…
— Vous plaisantez, j’espère !

La reine leva une main et ils se turent.

— Si nous les exécutons, serez-vous réellement satisfait ?

J’avais l’étrange sentiment que la magie de la reine s’écoulait vers moi.
Voilà donc ce que cela faisait de ressentir des sueurs froides dans le dos.

— Menaçante…

Le mot me vint tout seul et correspondait parfaitement à ce qu’elle me faisait éprouver.

— Bien sûr, ils peuvent être tués. Néanmoins, il existe d’autres possibilités. Nous pourrions les torturer, puis leur faire croire qu’ils sont libérés et, une fois qu’ils se sentiraient en sécurité, un sourire aux lèvres, là, nous pourrions les assassiner.
— Vous êtes… Non, en fait, continuez.
— Je suis en train de dire que se contenter de les exécuter ne présente que peu d’intérêt, ce sera ennuyeux. Nous pourrions tout aussi bien leur donner de simples tâches, où ils apprendraient à se rendre utiles, afin de les avoir toujours sous la main, tels des animaux domestiques… Nous les dresserions jusqu’à la mort. J’apprécierais cela.

En la voyant réfléchir avec un tel détachement aux moyens de se débarrasser de sa propre famille… il y avait de quoi se dire que la reine était peut-être la personne la plus diabolique de ce pays.

— Vous croyez vraiment qu’elle est derrière tout ça ? Elle en a l’air capable.
— Tu as raison. C’était sacrément froid de sa part.

Ces imbéciles de héros n’arrêtaient pas de changer de sujet !

— Bref, ce ne sont que de simples suggestions. Je n’ai rien de plus à dire là-dessus. Mes propos reflètent mes ultimes émotions.
— Oh, je pense que je vais suivre votre avis.

Elle me faisait comprendre que je pouvais agir à ma guise, tout en ne souhaitant pas leur mort. Elle désirait les châtier d’une autre manière.

— Après toutes les mauvaises actions de l’Église, cela ferait grand bruit si la reine exerçait son autorité en exécutant les membres de sa propre famille. Je pense que cela aurait un impact sur notre image au sein de la communauté internationale.
— D’un autre côté, après tous les ennuis causés par ces crétins bons à rien, les crucifier pourrait très bien indiquer aux autres nations que nous prenons ça au sérieux.
— Bouclier… espèce d’enfoiré ! hurla le Sac à merde.

Mais la reine l’ignora et s’exprima :

— En temps normal, j’aurais été d’accord avec vous. Cependant, je ne pense pas que cela s’applique dans le cas d’Aultcray.
— Et pourquoi ça ?
— Cet imbécile possédait une sacrée réputation par le passé. Ses actes ont suscité l’admiration dans le monde entier. Il était, et est sans doute toujours, respecté par les autres. Si nous le tuons…

Je ne savais pas ce que le Sac à merde avait fait pour se distinguer autant… mais cela importait peu. Je comprenais ce qu’elle essayait de me dire.
Il était trop célèbre.
De plus, il avait fait usage de son autorité royale pendant tout ce temps. Son nom était trop connu.

Apparemment, il avait été un guerrier respecté et s’était illustré dans de nombreuses batailles. Les gens qui avaient collaboré avec lui ou s’étaient battus à ses côtés ne resteraient pas sans réagir s’ils apprenaient qu’il avait été exécuté.
Il pourrait s’avérer intéressant de voir comment tout cela allait se développer. Si le Sac à merde avait été considéré comme un héros, puis s’était sali les mains, perdant ainsi le respect auquel il s’était habitué jusqu’alors, il serait peut-être intrigant de voir ce qui en découlerait.

— Compris. Nous allons suivre votre idée.
— Merci.
— … À une condition. Ils auront la vie sauve, mais vont devoir souffrir.
— Naturellement… À présent, quel doit être leur premier châtiment ?

Oui… je pouvais faire ce que je voulais, à part les tuer.

— On pourrait commencer par leur couper les mains et les pieds…
— M. Naofumi…

Raphtalia me dévisageait comme si elle avait quelque chose à dire.
Elle pensait probablement que, si j’avais l’autorité nécessaire pour ordonner une telle chose, et bien qu’ils le méritent, je ferais mieux de me retenir un peu.
Que faire…
De plus, si je laissais filer ma chance aujourd’hui, comment pourrais-je être sûr d’en avoir une autre à l’avenir ?

— … M. NaoFUMI.

La Salope essuya ses larmes et m’implora. Sa manière de prononcer mon prénom était différente de celle de Raphtalia ou Melty. Que tentait-elle de me dire ?
Ses yeux étaient humides. Ils brillaient. Ses joues étaient rougies. Elle donnait vraiment l’impression que toute la noirceur de ses péchés commençait enfin à transparaître.
Elle savait clairement jouer la comédie lorsqu’il le fallait. Si je n’avais pas déjà su qui elle était, je me serais fait avoir.
Elle avait sûrement manipulé Motoyasu de cette façon.
Je pris soudain conscience que c’était la première fois qu’elle m’appelait ainsi.

— Je vous en prie, ne faites pas quelque chose d’aussi stupide que de vouloir vous venger. Cela n’engendre que davantage de vengeance. Si vous, M. NaoFUMI, pouvez accepter de vous montrer miséricordieux, alors je suis certaine que la reine vous en sera reconnaissante…
— Ouah…

Ren regardait la Salope comme s’il n’en croyait pas ses oreilles. Itsuki aussi était sous le choc. Il se gratta la tête en signe de confusion. Melty se prit la tête dans ses mains et fixa le sol. Raphtalia leva les yeux au ciel, incrédule. Filo… Filo pencha la tête sur le côté et afficha une mine perplexe.
Quant à moi…

… Hmm.
— Bon…

Plus tard dans la journée, des soldats enfourchèrent leur cheval, Filolial ou dragon. Ils sillonnèrent tout le pays pour délivrer un message :

— Afin d’assumer la responsabilité des terribles événements survenus en Melromarc, à compter de ce jour et pour l’éternité, le roi Aultcray et la princesse Malty seront dorénavant connus sous le nom de « Sac à merde » et de « Salope ». Quiconque fera usage de leur précédent nom sera sévèrement puni, quelle qu’en soit la raison !

Ils imprimèrent cette proclamation sur des affiches et des bulletins d’information qui furent distribués dans chaque cité, village et ville du royaume.
Les citoyens de toute classe sociale se redressèrent en entendant cela et eurent la même réaction :

— Quoi ?
— Quel imbécile irait décréter une chose pareille ? Espèce d’idiot !
— Qu’est-ce que vous faites ? Vil démon !

Le visage de la Salope se contorsionna de rage.
Dorénavant, lorsque les gens évoqueraient ces deux-là, ils diraient des choses comme « Donc, la Salope était… » ou « Quoi de neuf à propos du Sac à merde ? »
Cela faisait du bien. Je n’aurais jamais pensé assister à un truc pareil.

— Vous l’avez mérité…
— Je le pense également. Il est vrai que ce châtiment est terrible, mais il me paraît juste.

Ren et Itsuki ne purent s’empêcher d’y aller de leur petit commentaire.

— Espèce de sale petit merdeux !

Le visage déjà rouge du Sac à merde le devint encore plus et il s’époumona sous le coup de la colère.

— Ha ha ha ! ÇA, c’est la tête que je voulais voir depuis tout ce temps !

Le monde entier allait enfin connaître le surnom dont je l’avais affublé en secret : le Sac à merde.

— « La vengeance ne fait qu’engendrer davantage de vengeance… », c’est bien ça ? Quelles belles paroles, je te suggère d’appliquer ce précepte pour toi, princesse Mal… je veux dire, Salope.
— Tais-toi donc ! Je ne te pardonnerai jamais !

Elle donnait l’impression d’être prête à me rouer de coups, mais les gardes de la reine ne la laisseraient pas agir ainsi.

— N’oubliez pas que la Salope usait d’un faux nom pour partir à l’aventure. Que devons-nous faire à ce sujet ?
— La Pute…
— Pardon ?

Ren et Itsuki demeuraient muets. Ils semblaient quelque peu offensés. Difficile de leur en vouloir.

— Fort bien, j’enregistrerai cela comme étant son nouveau nom d’aventurière. Elle ne sera dorénavant plus capable d’employer « Myne » lorsqu’elle acceptera des quêtes ou dormira dans une auberge.
— Je te tuerai ! Dès que tu auras le dos tourné, je te tuerai, tu m’entends ?

Elle était furieuse… elle bouillonnait littéralement de rage. Mais je me sentais si bien. Sa petite crise passagère ne pouvait pas m’atteindre.

— Libre à toi d’essayer. Si tu m’attaques, tu seras exécutée.
— Oui, elle a perdu tous ses droits. Si elle dérape à nouveau, le sceau d’esclave la tuera.

Je voyais où elle voulait en venir. Cela poserait des problèmes si la reine exécutait un membre de la famille royale. Voilà pourquoi elle avait renié la Salope et changé son nom. De ce fait, elle serait désormais libre de l’assassiner sans s’inquiéter du qu’en-dira-t-on. C’était malin et efficace. J’aimais cette idée.
De surcroît, il y avait maintenant une règle interdisant à la Salope de m’attaquer. Elle avait dû avoir envie de lui faire comprendre ce que cela faisait d’être dans ma position… incapable de la moindre action offensive.

— Eh bien, dites-moi, vous ne trouvez pas que c’est un peu excessif ? demanda Itsuki.

Je m’en fichais.

— Oh que non ! Ça fait du bien !
— À présent, afin d’obtenir la coopération pleine et entière de M. Iwatani, nous allons devoir satisfaire sa vieille requête, n’est-ce pas ?
— Que voulez-vous dire ?
— Avant que tout cela ne se produise, vous avez demandé au Sac à merde de ramper devant vous, me trompé-je ?

La reine claqua des mains, et des ombres ainsi que des chevaliers apparurent derrière lui. Ils s’emparèrent du Sac à merde par les épaules et les contraignirent, lui et la Salope, à se mettre à genoux.

— Oh là, attendez une seconde ! Savez-vous un peu qui je suis ?
— Oui, je suis le ro…
— Une aventurière et un soldat, n’est-ce pas ?

La reine s’adressa à eux tandis qu’ils se retrouvaient agenouillés devant nous. Elle leur fit comprendre très clairement leur nouvelle position.

— À présent, inclinez-vous. Et toi aussi, bien sûr, Salope. Si tu désobéis, le sceau d’esclave te fera du mal.
— Mais… ma reine ! Je… non… je ne m’inclinerai pas ! Je refuuuuuuuuuse !
— Ce doit être une plaisanterie. Pourquoi devrais-je faire cela ? Je… AAAAAAAAAAH ! AÏE !

Les chevaliers agrippèrent leur nuque et les forcèrent à baisser la tête jusqu’à ce que celle-ci touche le sol.
La Salope était hors d’elle. Bien que son sceau la brûle, elle continuait de résister malgré tout.
Ils s’agenouillèrent, la tête posée par terre, cernés par des ombres, tout en ne cessant de vociférer.

— Je vous en prie…
— AAAAAAAAAAARGH !
— AAAAAAAAH !

Le Sac à merde et la Salope ne s’arrêtaient pas, empêchant quiconque de parler.

— Silence ! s’exclama la reine.

Les deux furent immédiatement bâillonnés.

— MMMMMMGHMMMMM !
— MMMMMMUUUUHHHH !

Ils employèrent toute leur énergie restante pour résister, mais ils n’étaient pas de taille à lutter.

— « Je vous en supplie ! Héros Porte-Bouclier ! Aidez-nous ! »
— « Héros Porte-Bouclier ! S’il vous plaît, défendez notre pays ! »

En voilà d’excellentes imitations de leur voix.

— Qu’en dites-vous ?
— Ce que j’en pense…

Cela faisait un bien fou de les voir contraints de s’incliner face à moi. C’était une super sensation, mais…
Bon, cela faisait VRAIMENT du bien, tout en n’étant pas exactement ce que je voulais.

— Ils n’ont pas l’air de se repentir beaucoup, vous ne trouvez pas ? Je suppose qu’on n’a pas le choix…
— Vous êtes sûrs que ça ne va pas un peu trop loin ?

Ren et Itsuki s’échangèrent des messes basses.
Je ne voyais aucune raison d’interrompre le spectacle. Tout le monde devait savoir qui étaient les vrais méchants de l’histoire. Il fallait qu’ils comprennent.
La Salope et le Sac à merde criaient et protestaient très violemment. Ils donnaient presque l’impression d’être au bord de l’infarctus.

Au bout d’un moment, ils finirent par se calmer et se taire. Leur bâillon fut retiré.
La Salope avait l’air… eh bien, d’avoir été violée. Elle contemplait le vide d’un air absent et des sillons de larmes dévalaient ses joues.
Me haïssait-elle à ce point ? Haïssait-elle à ce point le fait de devoir s’agenouiller ?

Ren s’avança vers le Sac à merde et agita la main devant son visage. L’autre ne réagit pas parce qu’il était incapable de voir. Ayant confirmé cela, Ren retourna à sa place. La Salope se plaignait encore.

— Peut-être est-ce assez de torture pour ces deux-là.

La reine leva la main et proclama :

— Emmenez-les hors de la salle du trône !
— Bien !

Les deux furent forcés de quitter la salle.
Après leur départ, je me tournai pour voir que Raphtalia me fixait d’un air déçu. Melty aussi semblait contrariée. Filo souriait et semblait passer un bon moment. Mais elles paraissaient avoir modifié leur opinion à mon sujet.
Elles ne dirent rien, mais laissaient penser que tout cela avait dépassé les bornes.

— Voilà qui met un terme à leur châtiment pour le moment. M. Amaki, M. Kawasumi, ainsi que leur groupe trouveront des chambres à leur disposition au château. Veuillez vous y reposer. J’ai encore plusieurs choses à voir avec M. Iwatani, je souhaite donc qu’il reste.
— Ah… ah.
— Je préférerais ne pas accorder ma confiance à des gens qui ont une telle conduite, mais…
— Attends. Comparée à l’état dans lequel ils ont mis ce pays, cette punition était trop douce. Ça peut sembler beaucoup, mais c’est juste parce que tu y as assisté.
— Tu as peut-être raison.

Ren et Itsuki discutèrent des événements venant de se produire tout en quittant la salle du trône avec leurs coéquipiers.

— Maintenant que nous les avons châtiés de cette manière, j’aimerais obtenir votre coopération, M. Iwatani.
— Eh bien…

Aucune raison de refuser ne me vint à l’esprit.
Malgré tout, était-il avisé de faire confiance à quelqu’un capable d’infliger un tel traitement à sa propre famille ? Certes, ils le MÉRITAIENT. Tout était leur faute. On récoltait ce que l’on semait.

— De quoi pourrions-nous discuter en premier ? J’ai une idée. Évoquons les Héros des légendes, voulez-vous ?

La reine se mit à parler :

— En réalité, je suis très intéressée par la légende des Quatre Saints Héros. Toutefois, elle est un peu différente de celles issues de mon propre pays…
— De quelle manière ?
— M. Iwatani, je crois savoir que vous en avez déjà discuté avec Melty. Puis-je partir du principe que vous possédez les bases sur ce sujet ?

J’acquiesçai.

— Bien, comme vous le savez déjà, le Héros Porte-Bouclier est absent des légendes de ce pays. Toutes ses références ont été supprimées, et les gens ne parlent de lui que comme un démon.
— … Hmm hmm.

Le livre que j’étais en train de lire au moment de mon invocation dans ce monde, Les Archives des Quatre Saintes Armes, n’était porteur d’aucune information concernant le Héros Porte-Bouclier. Les pages affilées s’étaient avérées entièrement vierges.
Je m’étais dit que c’était le cas pour que je les remplisse en venant ici… mais était-il possible que cet ouvrage soit tout simplement leur version de la légende ?
Quelque chose clochait. Je ne pensais pas avoir raison, mais j’allais sans doute devoir m’en contenter pour l’instant.

— Le Héros Porte-Bouclier travailla avec les humains et les demi-humains. Pour cette raison, il est arrivé à de nombreuses reprises que les autres Héros le considèrent comme un ennemi. À la fin, ils parvinrent toutefois à se réconcilier.

À présent, les pièces du puzzle s’imbriquaient. Si cela faisait partie de la légende, cela expliquerait pourquoi les demi-humains s’étaient montrés si enclins à me croire.

— Comme vous le savez, Melromarc est une nation de suprémacistes humains. Nous avons bel et bien créé un quartier spécial au sein duquel les demi-humains pourraient vivre en paix, mais ils ont eu une vie difficile.
— Hmm hmm…

J’étais dans ce monde depuis un peu plus de trois mois, désormais. Je savais que les demi-humains étaient très majoritairement des esclaves dans ce royaume.

— À cause de cela, nos relations avec Silt Welt sont très mauvaises. Nos deux pays se sont combattus à maintes reprises.

La situation était tout l’opposé chez eux, où les humains étaient vus comme une caste d’esclaves. Melromarc et Silt Welt étaient semblables à de l’eau et de l’huile.
Rien d’étonnant à ce que les tensions soient vives entre eux.

— Bien, comme vous le savez peut-être, la religion de Silt Welt s’est aussi détachée de l’Église des Quatre Héros, mais, au lieu de vénérer trois Héros, elle voue un culte exclusif au Héros Porte-Bouclier.
— Je m’en doutais. J’avais vu juste.
— Oui… Quant à l’origine de l’Église des Trois Héros… je présume que vous avez déjà deviné, n’est-ce pas, M. Iwatani ?

L’Église des Quatre Héros originale s’était scindée en deux branches différentes entre Melromarc et Silt Welt. Ici, elle était devenue l’Église des Trois Héros, tandis qu’en Silt Welt, elle avait pris le nom d’Église du Porte-Bouclier.
La reine venait de dire que ces deux nations étaient en guerre depuis longtemps, ce qui voulait dire que…

— J’ai été invoqué en plein territoire ennemi ?

J’étais le saint de leur plus féroce adversaire. Qui pouvait s’attendre à être traité avec respect dans ces conditions ? Les humains n’étaient pas si nobles d’âme.
Les anciens ouvrages de l’Église des Trois Héros foisonnaient, sans l’ombre d’un doute, de récits concernant les viles actions du Héros Porte-Bouclier. Des choses similaires se produisaient dans mon monde. Le dieu d’une religion ennemie finissait par être vu comme un démon.
Tout s’emboîtait.
Était-il possible que le Sac à merde ait fait de moi son bouc émissaire à cause des guerres livrées contre Silt Welt ?

— L’enquête a conclu que tous les problèmes survenus récemment sont le fruit des actions menées par l’Église, qui ont détruit une grande partie de mes efforts, par la même occasion.
— Je compatis.
— Merci.
— Oui… Melty, tu comprends bien tout cela, n’est-ce pas ?
— Ou… oui !
— Le souci principal demeure. L’invocation d’un Héros est une importante cérémonie à la hauteur de la gravité de la situation.
— Sauf que les quatre sont arrivés en même temps.
— Oui… c’est pour cela que ce problème est si important.
— Si c’est si grave, pourquoi les autres pays n’attaquent pas Melromarc ?
— Grâce à mes négociations… bien que je ne souhaite pas m’en attribuer tout le mérite. La principale raison s’explique par vos actions, ainsi que celles des autres Héros.
— Mère a travaillé si durement. Elle a même eu de la fièvre. Cela vous montre à quel point elle s’est investie !
— Melty.
— Qu… quoi ?
— Ne sois pas si tendue. Relâche un peu la pression, tu me fais flipper.
— Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Ah… il semblerait que Melty commence enfin à se conduire comme une jeune file de son âge. Étant sa mère, j’en suis très heureuse. Je ne la comparerais certainement pas à sa sœur, mais Melty s’est inquiétée très jeune de l’opinion publique. Il lui est donc difficile d’être elle-même.
— Mère, tu te méprends !
— Jusqu’à ce que tu deviennes plus grande et parviennes à mieux te connaître, peut-être vaudrait-il mieux que tu restes en compagnie de M. Iwatani.
— Mère !

Melty était très en colère. Mais bon, elle avait clairement fait dévier la conversation.

— Pourquoi est-ce que l’Église ne m’a pas tué plus tôt ?
— Je crois qu’ils voulaient que les autres Héros s’en chargent à leur place.
— Donc ils attendaient que ces trois-là soient assez forts ?
— Je ne vois pas de meilleure façon de le présenter, mais… les autres Héros ont parfois l’habitude de ne pas beaucoup réfléchir à l’avenir. L’Église s’est certainement dit qu’ils seraient faciles à contrôler.
— Ah… ouais, je peux comprendre.

Ces gars-là n’arrivaient toujours pas à sortir de leur routine de joueur. Il était évident qu’on les avait manipulés, mais ils ne s’adaptaient pas à la situation. Ils ne remettaient jamais en question ce qu’ils voyaient.

— Bien évidemment, nous avions aussi fort à faire de notre côté, surtout vis-à-vis de vous, M. Iwatani. Beaucoup, beaucoup de gens au sein de la communauté internationale désirent ardemment vous rencontrer.
— C’est…

Je me souvenais que Melty m’avait dit quelque chose du genre. Lorsque j’avais touché le fond, nu, blessé, seul et sans rien, des gens m’avaient approché, et je les avais envoyés paître. La reine comprit que j’avais saisi ce qu’elle sous-entendait et hocha la tête.

— C’est pour cela que j’ai réussi à y voir clair dans cette situation, sans me laisser leurrer par les apparences.
— Qu’entendez-vous par là ?
— J’ai dit au conseil que les Héros étaient occupés à éradiquer une maladie dans notre pays.

Afin d’éviter au monde de sombrer dans la guerre durant une telle période… elle avait dû travailler vraiment dur.
Dans mon propre monde, à l’époque où je gérais une guilde dans un jeu en ligne, il y avait parfois eu des moments où d’autres membres pétaient les plombs.
J’avais alors dû tout donner pour étouffer ces crises. En temps normal, je les aurais volontiers renvoyés, mais cela n’avait pas été possible à cause des règles en vigueur. La reine devait ressentir la même chose que moi à ces moments-là.

— Lorsque M. Iwatani parcourut le pays pour rectifier les torts causés par les autres Héros, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Ces trois gars avaient engendré des problèmes que j’avais ensuite corrigés. Cela avait conduit le peuple à remettre en doute leur foi en l’Église.

— Les trois autres ne savaient pas pourquoi j’étais le seul à être maltraité ?
— Kitamura travaillait aux côtés de la Salope, et M. Amaki et M. Kawasumi recevaient toutes leurs informations de la guilde. Les gens ont tendance à se fier aux personnes d’autorité dans leur entourage. Ils acceptent ce qu’on leur dit.

Donc ils se contentaient de gober bêtement ce que leur transmettaient des figures d’autorité… Je supposais que si l’on n’avait pas accès à d’autres sources d’information, c’était une réaction naturelle.
S’ils avaient su qu’on leur mentait, ils m’auraient soutenu.
Ils s’étaient simplement révélés ignorants. Voilà pourquoi ils semblaient se comporter de façon aussi irréfléchie. Oui, Ren et Itsuki paraissaient avoir compris, maintenant.

— Quand je suis enfin parvenue à calmer tout le monde et que j’étais prête à rentrer en Melromarc, les récents événements se sont alors déclenchés. Je n’aurais jamais imaginé que l’Église détenait une réplique de l’une des quatre Armes Légendaires.

Comment aurait-elle pu être au courant ? Qui pouvait s’attendre à une telle chose ?

— Le Pape était un imbécile… Au moment de votre attaque, il aurait très bien pu transformer son arme en bouclier et survivre…
— Donc ce machin pouvait aussi en devenir un ?
— Absolument, bien que sa puissance ne soit environ égale qu’au quart de l’original.
— Ah, c’était juste un quart de son vrai potentiel ?

Si nous montions en niveau, nous finirions par être quatre fois plus forts que le patriarche religieux ? Difficile à croire.
Après tout, ce n’était qu’une légende. J’étais convaincu qu’avec le temps, la vérité s’était amplifiée et que… Une minute, en repensant au pouvoir de Fitoria, ce n’était pas si absurde.
Franchement… nous étions sans doute juste un peu trop faibles à l’heure actuelle.
Si nous ne trouvions pas rapidement un moyen de progresser, nous ne sortirions jamais indemnes des vagues à venir.

— Les actes du Sac à merde ont mis en péril une longue période de paix. C’était un homme compétent, mais il semblerait que tout ce qu’il a entrepris n’ait conduit qu’à une aggravation des tensions.

Il avait vraiment dû vouloir m’empêcher de rallier Silt Welt à tout prix. Cela expliquait pourquoi il avait tant renforcé la sécurité aux abords de la frontière.

— Pour finir… oui, je souhaite faire tout ce que je peux pour vous soutenir à compter de maintenant. En sachant cela, désirez-vous toujours vous rendre en Silt Welt, leur dire la vérité et démarrer une guerre ?
— Hmm…

Cela signifiait que, si elle voulait éviter tout conflit, la reine ferait tout pour me protéger.
Néanmoins, pour être honnête, je désirais sincèrement la saluer et partir. Mais j’avais fait une promesse à Fitoria…
Et la Branche Maudite s’était montrée si puissante que je ne pouvais pas ignorer ce qu’elle m’avait dit.

— De surcroît, que vous choisissiez Silt Welt ou Shild Frieden, puis-je vous informer de ce qu’il arrivera si vous leur offrez le plaisir de votre visite ?
— Hmm ?
— Tout d’abord, la princesse et les filles de nobles demanderont une audience avec vous. Les femmes demi-humaines formeront un harem autour de vous.
— Hé !

Elles me courraient après, en quête d’un enfant du Héros Porte-Bouclier ? Après ce que la Salope m’avait fait, le simple fait de penser aux femmes me répugnait.
Me retrouver avec encore plus d’infectes langues de vipère était bien la dernière chose que je voulais.

— Ils vous accorderont certainement ce que vous voudrez. Si vous leur dites d’attaquer Melromarc, ils se rallieront sous votre bannière et marcheront droit sur nous, jusqu’à la mort.

Cela ne sonnait pas si mal, mais toute cette histoire de harem…
Pourrais-je l’endurer ? Mais… si je voulais survivre jusqu’au bout, j’allais avoir besoin de la coopération des autres héros. Devais-je leur demander de m’accompagner ? Et puis, surtout, seraient-ils d’accord ?

— Tout cela ne poserait, en théorie, aucun problème. Cependant, gardez à l’esprit que, quelle que soit votre destination, ceux qui détiennent le pouvoir et qui manipulent les croyances des gens sont dotés d’une âme noire.
— Quoi ?
— Pauvre M. Iwatani, frappé soudain par une affliction aussi grave…
— Je vois où vous voulez en venir.
— Cela est déjà arrivé à un ancien Héros Porte-Bouclier.

J’aurais préféré ne pas le savoir.
Elle était en train de me faire comprendre que les gens pouvaient très bien vénérer le Héros Porte-Bouclier, mais que cela n’empêchait pas les personnes de pouvoir, ceux qui avaient quelque chose à perdre, de ne pas se réjouir en me voyant faire ce que je voulais.
Ma foi, c’était assez logique. Qui aimerait qu’un type issu d’un autre monde se ramène dans son pays pour commencer à tout bousculer ?
Je comprenais leur position, mais je ne souhaitais évidemment pas y laisser ma peau. Quelles options avais-je à ma disposition ?

— Au fait, il paraît que vous avez été approché par des aventuriers porteurs de fausses requêtes…
— Oui.

Cela s’était produit quelques jours après mon invocation. Des gens m’avaient dit qu’ils rejoindraient mon groupe, mais que je devais les payer pour cela. J’avais laissé le soin à mes ballons de régler la question.

— Quelques jours après votre rencontre, leurs corps ont été retrouvés… affreusement mutilés.
— Quoi ?

Encore une chose que j’aurais préféré de ne pas savoir…

— De plus, dans les jours qui ont suivi, un garde affecté à un chevalier a été attaqué et tué par un groupe de gens. Nous n’avons pas découvert les responsables. Il est possible que…

Silt Welt était un pays prêt à prendre des mesures extrêmes.
Tant l’enfer que le paradis semblaient m’attendre là-bas.
Bien évidemment, ce serait le cas si la reine disait vrai.

— Par conséquent, je pense qu’il est plus sûr pour vous de demeurer ici, puisque vous venez enfin d’acquérir la confiance des gens.
— …

Je ne désirais pas vraiment coopérer.
Toute la souffrance et toute la douleur que j’avais subies n’allaient pas disparaître par un coup de baguette magique, simplement parce que la reine l’ordonnait.
Même si celle-ci était directement impliquée dans le châtiment infligé au Sac à merde et à la Salope, elle ne faisait qu’agir selon ce qui semblait naturel et attendu de la part du dirigeant de ce pays.
Et, maintenant, elle présentait cela comme une faveur m’ayant été faite et réclamait ma coopération ? C’était bien trop facile.

De plus, je respectais ses compétences… mais cela ne signifiait pas que j’avais confiance en elle.
Il lui était aisé de dire ce qu’elle voulait.
En vérité, elle ne souhaitait pas que je rende visite à d’autres nations.
Malgré tout, si elle disait vrai, je pourrais m’attendre à un accueil chaleureux de la part de n’importe quel autre pays, pas seulement Silt Welt ou Shild Frieden.
Melromarc n’avait rien de spécial.

— …

Je réfléchissais aux propos de la reine lorsque cette dernière s’agenouilla devant moi.

— Tout ce qui vous est arrivé jusqu’à maintenant est ma faute… C’est ma responsabilité. Je comprends si cela vous donne l’impression que je vous en demande trop.

Elle inclina profondément la tête.
Melty en resta sans voix. Raphtalia contemplait la scène, les yeux ébahis. Même Filo paraissait saisir qu’il se déroulait quelque chose d’important.

— Mais, comprenez bien ceci, je vous prie. Je ne… Non, ce pays n’a qu’une seule option : s’appuyer sur vous. Si couper ma tête apaise votre courroux, alors prenez-la. Si changer mon nom apaise votre courroux, qu’il en soit ainsi.
— Mère…
— Alors, je vous en prie, faites preuve de pardon. À compter de ce jour, je ferai en sorte de vous épargner tout traitement injuste. Je le jure sur mon nom, Mirellia Q. Melromarc. Je signerai un contrat magique.

Cette femme…
Elle avait usé de son autorité pour empêcher la Salope et le Sac à merde d’être tués et, maintenant, elle faisait volte-face et m’offrait sa vie ?
Si elle m’avait proposé celle des deux autres, j’y aurais peut-être réfléchi une minute… mais je ne voulais pas vraiment que la reine meure.
Melromarc devait être dans de sales draps…

Elle sous-entendait que l’avenir de ce pays dépendait… de moi ?
Si je le désirais, je pourrais unir le monde contre eux et réduire cette nation en cendres.
Cependant…

— Juste pour cette fois.
— Que voulez-vous dire ?
— L’une de vos ombres s’est interposée pour nous sauver, une fois. Et parce que vous nous avez aidés à abattre le Pape.
— Ce qui signifie que…
— Je vais vous croire… mais uniquement aujourd’hui. Toutefois, peu importe ce qui nous attend, ce sera la seule et unique fois.
— Merci.

Elle fit encore un grand salut de la tête, exprimant sa gratitude.
Me montrais-je faible ?
Néanmoins, si je continuais de remettre en doute tout et n’importe quoi, je ne parviendrais jamais à aller de l’avant.

Je me rappelai ce que Fitoria m’avait dit.
Les héros n’avaient pas le luxe de s’affronter. Cette énorme Filoliale Légendaire viendrait pour nous tuer si nous continuions à nous quereller.
L’ennemi des héros n’était pas un pays. Il s’agissait des vagues.
Si des nations entraient en guerre pour se retrouver éradiquées par une vague, alors tout cela n’aurait servi à rien.

Et je n’oubliais certainement pas que, malgré toutes leurs bonnes intentions, les héros avaient perdu la bataille décisive de la dernière vague.
Il était inutile de s’aliéner davantage de monde.
J’avais été cerné d’ennemis depuis le départ, mais cela était sur le point de changer.
Je me fichais pas mal du sort de ces pays, mais le seul moyen que j’avais pour retourner dans mon propre monde était de vaincre les vagues.
Je devais me concentrer dessus… et sur Glass.
En prendre conscience était déjà un grand pas en avant.


La reine se redressa et couvrit sa bouche avec son éventail déployé.

— Pourriez-vous garder cette conversation secrète auprès des autres héros ? Comme tout un chacun, ils sont aussi l’enfant de quelqu’un. S’ils ont vent que l’un d’eux a reçu mes faveurs…

Elle avait raison. Nous avions discuté d’un tas de choses dont j’aimerais laisser les autres héros dans l’ignorance.
Je ne savais pas comment Ren ou Motoyasu pourrait réagir, mais il me semblait qu’Itsuki péterait les plombs.
Et puis, à moins qu’un événement dramatique ne survienne, j’avais le sentiment que ma situation s’était grandement améliorée.

— Bien. Je ne dirai rien…
— Oui. Merci. J’endosse la responsabilité de la gestion future de ce point précis.
— Vraiment ? Alors, je peux enfin rayer un ennemi de ma liste…
— Je suis tellement navrée. Vous avez été invoqué ici en dépit du fait que vous êtes parfaitement étranger à nos conflits… Et vous voici contraint de vous battre. J’aimerais faire davantage pour vous, mais mes mains sont liées pour le moment. Veuillez me pardonner.
— C’est bon, restons-en là. Focalisons-nous plutôt sur la prochaine étape. Vous avez dit que nous devions discuter de quelque chose avec les trois autres.
— Oui, mais je souhaiterais que vous preniez part à la conversation. Alors, abordons cela ce soir, lors du dîner.
— D’accord.

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