Isaac – Chapitre 18

« C’est un rêve. »

C’est la première chose qui vint à l’esprit de Joon-young alors qu’il se trouvait au milieu d’un champ de bataille. Ses camarades se tenaient à côté de lui, ça ne pouvait pas être réel. Ils riaient malgré leurs crânes brisés et leur torse percées par de nombreuses balles. Les obus et les grenades les déchiquetaient les uns après les autres tandis que leur peau fondait sous l’effet des armes chimiques. Et pourtant, ils étaient là, à rire tous ensemble, et Joon-young rit avec eux.

Ils étaient les fantômes du champ de bataille. Ceux qui marchaient sur la ligne entre la vie et la mort. Ils continuaient d’aller de l’avant malgré la pile de cadavre derrière eux.

« Qu’est-ce que vous faites ici ? »  Demanda Le sergent Min

Il avait une cigarette dans sa bouche, comme toujours, et un trou béant au milieu de son estomac.

« Aurais-tu oublié comment s’adresser à son supérieur ? »

Le sergent Min rit de la réponse de Joon-young et jeta sa cigarette sur le sol.

« Il y a une limite à ce que vous pouvez exiger de moi, monsieur. »

Juste au moment où Joon-young s’apprêtait à répondre au sergent Min qui faisait un salut rapide, ses yeux s’ouvrirent et il distingua un plafond qui lui sembla familier.

« J’emmerde ce rêve. »

Les souvenirs remontèrent à la surface. La tension dans ses muscles alors que sa première bataille était sur le point d’avoir lieu. La peur grandissante et le désespoir quand il tua son premier homme. Quelque chose en lui avait disparu au même moment. Après cela, il ne restait plus en lui que la folie du champ de bataille. Se souvenir de la personne qu’il était devenu n’était pas des plus agréable. Alors qu’il essayait de se sortir du lit, une douleur au niveau de la poitrine gauche se réveilla, l’empêchant de se relever.

« Kuk ! »

Il toussa jusqu’à cracher du sang, augmentant sa douleur. Quand le toussotement se dissipa finalement, il enleva sa chemise pour afin de regarder sa blessure.

« Est-ce qu’il a touché mes poumons ? »

Respirer lui était difficile. Du sang débordai du côté gauche de sa poitrine.

La « technologie » médicale de ce monde était fascinante. Pendant son précédent séjour à l’hôpital, il avait suffi au mage d’approcher sa main et d’émettre une lumière vive pour que sa blessure se referme à vue d’œil. À ce moment-là, il fut choqué qu’une telle chose soit réelle en dehors des films de science-fiction.

« Pourquoi ça fait si mal ? Ne pouvaient-ils pas finir le travail avant de me renvoyer chez moi ? »

La douleur le tiraillait chaque fois qu’il tournait son corps, quand soudain la porte de sa chambre s’ouvra.

« Qui est-ce ? »

Isaac tourna la tête et vit une femme qu’il n’avait jamais vue se tenir devant lui, les yeux écarquillés. Sa beauté était inégalée par tout ce qu’il avait vu auparavant, même en comptant sa vie précédente. Ses cheveux étaient dorés et ses yeux ambrés. Sa peau légèrement bronzée mettait parfaitement en valeur ses formes.

Isaac était trop occupé à se demander comment l’aborder pour se rendre compte qu’elle, au contraire, ne semblait pas lui montrer beaucoup d’intérêt et quitta la salle après avoir jeté un bref coup d’œil à Isaac.

« Qui est ce que c’était ? Pourquoi est-elle partie ? Ah ! C’était sûrement la guérisseuse ! Mais pourquoi n’ai-je pas entendu parler d’elle avant ? Elle devrait avoir une sacrée réputation sur le campus avec un look comme ça. »

Alors qu’Isaac se demandai qui était la jeune femme, il entendit un chahut soudain et vit Reisha entrer dans la pièce avant de se jeter dans ses bras avec un soupçon de larmes sur les yeux. Isaac l’attrapa par réflexe avant de sentir à nouveau sa blessure lui faire serrer les dents.

« Sunbae-nim ! »

« Essayerais-tu de me tuer ? »

Isaac mit toute sa force dans son bras tremblant pour se détacher de Reisha.

« Sais-tu à quel point nous étions inquiètes ? Nous pensions que tu allais mourir ! »

« Eh bien, je suis en vie maintenant. Combien de temps ais-je dormi ? »

« Tu es inconscient depuis trois jours ! Kunette et moi nous sommes démenées pour te sauver ! »

« Alors qui m’a guéri ? »

« Kunette. »

« Kunette ? Alors, qui était cette dame qui est entrée dans la pièce ? »

Il y a eu une pause, une inclinaison de tête, puis un sourire mystérieux sur le visage de Reisha.

« Heee, Tu veux le savoir ? Tu es intéressé, n’est-ce pas ? »

« Non, pas vraiment. Je le saurai le moment venu. »

Reisha maudit sa tentative peu discrète de profiter de sa curiosité tandis que Kunette entra à son tour.

« Oh, Kunette. Reisha vient de me dire que tu m’avais soigné. Merci. Je te dois la vie. »

Kunette resta muette. Elle remit ensuite un paquet de feuilles brunes dans la main d’Isaac.

« C’est un cadeau ? Pour me souhaiter un bon rétablissement ? »

« … Feuille de Choyu. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

« C’est une herbe que nous utilisons pour guérir les poumons, le cœur ou les voies respiratoires lorsqu’ils sont endommagés. Parfois, la magie ne guérit pas tout. »

« Dois-je en déduire que je ne suis pas encore complètement guéri ? »

« Umm… »

Reisha hésita à parler, incertaine de la façon dont Isaac réagirait.

« … Le Campus a refusé de te traiter puisque seuls ses étudiants sont autorisés à recevoir ses services. »

« Oho ? »

Isaac était surpris par Kunette. Le ton agressif de sa voix était quelque chose qu’il n’avait jamais vu de sa part. Reisha partageai sa colère.

« C’était horrible de leur part ! Nous nous sommes empressés d’appliquer les premiers soins puis nous t’avons amené à l’infirmerie et ils nous ont carrément refusé ! Kunette et moi avons failli dévaster leur infirmerie ! »

Étaient-ils simplement entêtés ou dépourvus de moralité ? Pour un guérisseur, refuser de traiter un patient semblait scandaleux. Était-ce parce qu’Isaac n’avait pas d’assurance maladie ?

« Alors pourquoi ai-je besoin de ces feuilles choyu ? »

« Nous avons réussi à guérir la coupure, mais il nous était impossible de traiter complètement les organes. La seule façon de te traiter complètement est de visiter le continent, mais… »

« Je serai expulsé dès que je mettrai un pied à l’extérieur du campus, alors c’est hors de question. »

« … »

« Voilà pourquoi cela fait mal. »

« C’est si douloureux ? »

Kunette s’approcha et regarda Isaac. Isaac pouvait voir l’inquiétude dans son regard. Il sourit et se mit à caresser sa tête.

« Je ne peux pas mourir avant de laisser Kunette manger tout le miel du monde. »

Kunette semblait rassurée, et laissa Isaac caresser sa tête sans aucune résistance.

« Tsk ! Tu n’aimes que Kunette. Peut-être que je vais tout te dire finalement. »

« Hm ? Me dire quoi ? »

« Ahaha ! Ce n’est rien. »

« Peu importe. Au fait, comment suis-je censé prendre les feuilles de choyu ? Dois-je en faire un thé ? »

Isaac regarda attentivement les feuilles dans sa main. Elles n’étaient pas plus grandes que la taille de sa paume et ressemblaient étrangement à un cercle dans leur forme. Elles étaient légèrement bleutées. Outre sa texture, rien ne laissait croire que c’était une plante.

« Il faut l’enrouler et allumer une extrémité tout en aspirant la fumée de l’autre. »

Reisha prit une des feuilles pour montrer à Isaac comment faire. Elle roula la feuille en forme de cylindre et en plaça une extrémité dans sa bouche.

« Après l’avoir allumé, tu dois respirer la vapeur. Le mieux est de respirer profondément, sinon elle n’ira pas assez loin. Tu comprends ? »

… C’est juste une cigarette.

Fumer était un tabou pour les patients avec un poumon blessé. Isaac se rappela que les cigarettes étaient autrefois considérées comme un médicament dans son ancien monde et en déduit que celui-ci n’avait pas encore constaté les effets dévastateurs que pouvait causer les cigarettes sur la santé.

Les cigarettes sont un poison dévastateur pour ceux qui souffrent de maladies pulmonaires. Mais cela n’empêcha pas Isaac de les prendre.

Son cœur se mit à battre avec anxiété et excitation, prenant la cigarette et inspirant une première fois.

Lorsque quelqu’un fume pour la première fois, il est probable qu’il ressente une impression de vertige à cause de la nicotine. Au lieu de ça, la feuille de choyu avait un goût de cigarette mentholée. La seule différence, c’est qu’il n’avait pas seulement le goût de menthe, mais que les poumons eux-mêmes étaient nettoyés par la fumée.

« Hein ? C’est pas mal. »

La douleur qui le tiraillait juste avant disparut immédiatement. Il n’y avait pas de mauvaise haleine qui venait généralement après avoir fumé une cigarette, mais plutôt une sensation rafraîchissante dans sa bouche.

« Vraiment ? La plupart des gens trouvent que c’est assez fort. »

« Fort ? Ça ? Ça me fait vraiment du bien. »

C’était comme si une bouffée d’air frais était injectée directement dans ses poumons. Non, ce n’était pas juste ça. Sa poitrine se sentait vraiment propre, et son esprit se sentait comme s’il venait de se réveiller d’un long sommeil. Avec son cerveau maintenant pleinement actif, le nom de Kaizen lui revint à l’esprit.

« Qu’est-il arrivé à Kaizen ? »

« Nous l’avons attrapé bien sûr ! Je me suis assurée de le laisser en vie pour que tu puisses te défouler si jamais tu voulais lui rendre la pareil ! »

« Où est-il maintenant ? »

« Hehe, il est à l’infirmerie. »

« Vous avez vraiment dû le transformer en crêpe alors. »

Si un suspect qui aurait dû être dans une cellule se trouvait dans une chambre d’hôpital, cela signifiait généralement qu’il était aux portes de la mort.

« Alors, que disent-ils au sommet ? J’imagine que le campus est un peu dans le chaos ? »

« Hum… Ils disent qu’il sera contraint de quitter le Campus volontairement. »

« Tentative de meurtre et on lui demande gentiment de partir ? »

Abandonner le campus signifiait qu’il était officiellement mort au sein de la société des nobles, cependant cela restait une punition quelque peu « légères » pour quelqu’un qui a poignardé un membre de sa propre famille.

« … Isaac n’est inscrit dans aucune école. »

« L’explication » de Kunette résumait tous ses malheurs depuis qu’il était entré sur le campus. Il était bien conscient de son manque de droits lorsqu’il est devenu le punching bag officiel du campus il y a quelques années, ça ne rendait cependant pas la situation plus juste à ses yeux.

En 300 ans d’existence, le Campus avait été témoin de seulement 5 cas de meurtres entre étudiants et ils étaient étroitement liés aux guerres féodales qui avaient eu lieu sur le continent. C’était comme un effet papillon.

La lutte entre les enfants devint bientôt une entre les adultes, et comme ils étaient tous des enfants de grandes familles, ils commencèrent à rassembler leurs alliés, amis, beaux-parents et cousins jusqu’à ce que l’Empire faillisse succomber à une guerre civile entre deux factions.

En théorie, telles auraient pu être les conséquences d’une tentative de meurtre. Malgré ça, tout ce qu’il recevait était une demande d’abandon du campus parce qu’Isaac n’était inscrit dans aucune école.

« M, mais tout le monde en était fou. Ils disaient que le plus jeune fils d’une famille appelée Rondart… Ah ! Je veux dire qu’ils écrivaient à leurs parents que les membres de la famille Rondart sont des espèces de malades… N-non ! Je veux dire, c’est… »

Chaque tentative de réconforter Isaac se terminant par un échec, les yeux de Reisha commençaient à gonfler alors que des larmes coulaient de ses yeux. Isaac mis rapidement un terme à cela en la tapotant sur la tête.

« Je sais, je sais. Vous vous inquiétiez pour moi. Merci. »

« Hehe ! »

Quelques caresses suffirent à Reisha pour retrouver son sourire habituel.

Juste après qu’Isaac eut fini son premier paquet de feuilles et avant qu’il ait le temps d’en rouler une autre, Kunette plaça ses pattes sur les genoux d’Isaac.

« Hum ? Quoi, tu veux que je te caresse la tête aussi ? »

« … j’ai guéri Isaac. »

« Oui, merci. Tu as raison, tu m’as sauvé la vie. Je vais te donner tout le miel que tu voudras. »

Les joues de Kunette rougirent soudainement et Isaac ne savait pas si c’était à cause des caresses ou du fait qu’il avait mentionné le mot miel.

« En passant, combien cela coûte-t-il ? »

« Le Choyu ne coûte pas très cher. À l’origine, c’était conçu pour les pauvres qui n’avaient pas les moyens de se payer un traitement approprié. Ils se vendent donc environ 1 giga chacun. »

Il y avait 4 types de monnaies dans ce monde. Arrangé du plus petit au plus grand, il y avait le Bit, le Byte, le Mega et le Giga. Isaac fit une rapide conversion ; 1 dollar américain valait un bit, 5 dollars pour un byte, 10 dollars pour un mega et 100 dollars pour un giga. Par conséquent, Isaac venait de fumer une cigarette à 100 $.

« N’est-ce pas trop cher ? »

« Pourquoi ? Même les voies respiratoires les plus lourdement endommagées peuvent être guéries après cinq d’entre elles. »

La réaction de Reisha fit réaliser à Isaac que cette cigarette n’était pas juste un consommable.

« C’est vraiment un médicament ? »

Isaac regarda la cigarette entre ses doigts. Devra-t-il vraiment arrêter quand ses poumons seront complètement guéris ? Non ! Contrairement à la cigarette du vieux monde, cette chose est effectivement bénéfique pour le corps. Il pouvait déjà sentir son corps devenir plus léger et son esprit plus clair. Pourrait-il vraiment arrêter après avoir senti cette sensation ? Impossible.

« Alors, où vous en êtes-vous procuré ? »

« Nous avons demandé à M. Gonzales de nous en donner un peu. »

« Tu as dit que j’avais été inconscient pendant trois jours ? Le navire de ravitaillement ne vient qu’une fois tous les deux jours, alors le temps ne semble pas correspondre. Le jour où j’ai été poignardé, ce n’était pas non plus le jour où le navire de ravitaillement est arrivé. Comment avez-vous fait ? »

« Mazelan Sunbaenim nous a aidés pour cela. Il a personnellement autorisé le transport de ces marchandises en urgence, sans tenir compte de la date initial afin que M. Gonzales puisse les ramasser lui-même. »

« Eh bien, voilà qui ne m’arrange pas. S’il m’aide déjà, j’aurai plus de difficulté à obtenir son aide plus tard. »

La position de Mazelan au sein du département logistique lui conférait une large influence. En plus de cela, son statut royal faisait de lui un atout précieux pour Isaac.

« Mais comment avez-vous payé au fait ? »

Le paquet que Kunette avait donné à Isaac contenait environ 100 feuilles au total. Ce n’était pas un montant important pour Isaac, mais Kunette ou Reisha n’ont jamais eu autant d’argent.

« La vérité, c’est que nous n’avions pas d’argent sur nous. Nous avons donc donné le coffre-fort qui se trouvait dans ta chambre à M. Gonzales pour qu’il puisse le donner à Mazelan Sunbaenim. »

« … ! »

Ce coffre-fort contenait toutes les économies d’Isaac ; environ 20000 gigas y étaient entreposés. Est-ce que Mazelan rendrait la monnaie à Isaac ? Probablement en cas d’urgence, mais il va très probablement le renvoyer lentement à Isaac comme des gouttes d’eau d’un robinet qui n’a pas été fermé correctement et s’en servir pour taquiner Isaac si jamais ce dernier venait à dépasser les bornes.

« Dois-je cesser de fumer dès maintenant ? »

Isaac savait que ça n’arriverait pas de sitôt.

Chapitre Précédent | Sommaire | Chapitre Suivant

1 thought on “Isaac – Chapitre 18

Laisser un commentaire