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Chapitre 30 : l’île des morts

Alors que la porte finit de s’ouvrir, Nina est curieuse de voir ce qui l’attend. Malheureusement, il n’y a que les ténèbres qui l’entourent. Des ténèbres épaisses qui ne laissent aucune place à la lumière. Il n’y a qu’une seule exception à cela, une sorte de puits de jour démesuré et qui ne semble pas avoir de fin qui tombe sur une montagne au centre de la caverne.
Devant elle se dessine un pont qui disparaît dans l’ombre et qui mène à la montagne. Taillé dans un minerai sombre avec autant de précision que la surface du mur extérieur, le pont semble s’étendre en ligne droite jusqu’à la montagne où se trouve probablement la Reine de la Nuit.

Alors que Nina se demande s’ils vont parcourir la distance les séparant de la montagne dans le noir, Deux fait un premier pas sur le pont. Comme pour répondre à sa présence, de l’endroit où il a placé son pied commence à se répandre une vague de lumière dans le pont qui s’illumine petit à petit.
Alors que l’onde se déploie sur le pont et que Deux continue d’avancer, le pont se met à émettre de plus en plus de lumière et commence à chasser les ténèbres. Le minerai noir devenant de plus en plus brillant à chaque nouveau pas, la caverne se révèle petit à petit. Sur l’extérieur du mur de la porte, des lumières s’allument une par une en façonnant la caverne pour les yeux d’Azalée et de Nina. D’une dizaine, elles sont ensuite des centaines à s’allumer, puis des milliers alors que la distance s’étend en hauteur et en largeur. Alors que la plateforme avance sur le pont, les torches continuent de s’allumer au loin en rendant toujours plus minuscule la lumière produite jusqu’à ce que finalement, elles deviennent des étoiles et des constellations s’étendant dans toutes les directions.

Alors que Nina ne peut s’empêcher d’être impressionnée par le spectacle, les limites de la caverne sont finalement perceptibles. Il y a bien une dizaine de kilomètres les séparant de la montagne qui trône au centre de la caverne, toujours baignée dans un faisceau de lumière blanchâtre. Étonnement, il n’y a rien en dehors de cette montagne. De chaque côté du pont et autour de la montagne, il n’y a que des ténèbres qui s’enfoncent dans un abysse silencieux qui semble sans fin et impossible à pénétrer, même pour la lumière du pont.

En regardant la montagne, Nina peut y voir une rivière qui en coule et tombe dans l’abysse ainsi que des arbres en grand nombre, mais elle n’y voit pas de construction pour l’instant. Cela ne la surprend pas trop, car il serait étrange de croire que les morts aient besoin d’habitations et des commodités d’une ville, mais la question reste de savoir où ils sont. Il est impensable de croire que l’armée qu’elle a affrontée représente tous les effectifs des forces de la Reine. Si cela avait été le cas, Deux aurait commis une grossière erreur en les détruisant d’un coup d’épée.

Par instinct, Nina approche Judas d’elle et, en le posant au sol, injecte du mana dans la lame. Elle lui demande de l’éclairer sur ce qui l’entoure et il lui répond à sa façon.

≈ Ils sont en dessous de nous. Ils sont trop nombreux pour les compter. Des centaines de milliers. Je les entends. ≈

Nina tend l’oreille en entendant la réponse de Judas, mais aucun son ne semble provenir de l’abysse. Il n’y a pas même un chuchotement, ou le moindre écho qui pourrait vérifier ce que l’épée annonce. Plutôt déçue de la réponse de Judas, Nina lui dit de se taire alors qu’elle continue d’observer la voûte étoilée de la caverne à quelques kilomètres au-dessus d’elle. Il n’y pas un son dans toute la caverne, pourtant elle n’a pas le moindre doute que s’il elle se mettait à parler, un écho retentirait dans la caverne comme un coup de tonnerre brisant le calme des lieux.

Deux continue d’avancer silencieusement sur le pont et chacun de ses pas provoque toujours plus de lumière sans produire le moindre son. Il s’arrête un instant pour se tourner et fait un signe à la lancière qui se contente d’acquiescer avant de se tourner vers Nina et Azalée. Deux reprend ensuite sa marche.

« Écoutez. »

Sa voix sonne comme un chuchotement étrange aux oreilles de Nina. Une sorte de souffle qui s’éteint à chaque fin de phrase en s’effaçant complètement.

« Devant la Reine, ne prenez la parole que si elle vous la donne. Au moindre manque de respect, vous mourrez pour revivre et souffrir des milliers de morts. Ne testez pas notre patience lors de votre audience. »

Le chuchotement de la lancière résonne aux oreilles de Nina et d’Azalée. Le ton est sans émotion et ne fait qu’annoncer des faits avec une simplicité extrême comme pour s’assurer que tous les deux comprennent bien la situation.
Pour Nina, cela ne change rien à sa façon de penser ni à son attitude, mais pour Azalée, les quelques consignes sonnent comme si l’on venait de lui donner la chose la plus fragile du monde en lui disant de ne pas la briser. Malheureusement, il a maintenant peur que Nina ne fasse quelque chose de ridicule qui leur coûtera la vie.

« Comment est-ce que tu t’appelles ? »

Comme pour lui confirmer qu’il ne survivra pas, la voix de Nina s’élève dans les airs. Après quelques instants, la lancière finit par répondre.

« Huit. »

Nina acquiesce avant de se présenter et de faire un signe de tête vers Huit et Cinq qui l’observent tous les deux à présent. Sans savoir quoi faire, Azalée se met à l’imiter et se présente à son tour en continuant à briser le silence de la caverne. Il se sent mal à l’aise d’entendre sa voix porter sur des kilomètres et referme assez vite la bouche en se jurant de ne plus parler.

« Est-ce possible de discuter, ou devons-nous nous taire ? »
« Parle, mais ne brise plus le silence quand tes mots se seront taris. »

Cinq est celui qui répond alors que lui et Huit se tourne vers elle.

— Quelle est votre condition ici ? Vous n’êtes pas exactement mort n’est-ce pas ?
— Nous sommes des demi-morts. Réanimés par la Reine pour la servir en mort-libre. Nous sommes la garde de la Reine.
— Puis-je savoir ce que vous faites sous terre ?
— Demande-lui.

La lancière se contente de montrer Azalée de la main comme s’il avait la réponse, mais maintenant qu’elle y pense, il le sait probablement. Il a proposé une pioche en présent pour la Reine, ce qui est naturellement la plus étrange des choses à offrir.
Azalée semble un peu gêné, mais il finit par répondre à la question de Nina en se mettant à chuchoter.

« Les rumeurs disent qu’on appelle aussi la Reine de la Nuit, la Reine qui creuse. Les vagues informations que j’ai entendues parlent de morts qui creusent éternellement dans les profondeurs de la terre. Je n’en sais pas plus. »

Nina ne sait pas où il a entendu de telles rumeurs, mais elle aurait clairement décidé que c’était idiot et n’y aurait pas prêté plus attention si Huit ne lui avait pas donné la parole. Elle a presque envie de soupirer en se disant que c’est là-dessus qu’est née l’idée d’offrir une pioche à la Reine de la Nuit. Cependant, elle n’est pas stupide au point de relancer Azalée qui semble encore cacher des détails. Cela ne l’étonne pas vraiment puisque la personne qui a dû raconter cette histoire a dû en rire en ajoutant des blagues sur la Nécromancienne idiote qui a décidé qu’au lieu de grimper la Tour des Mondes, elle creuse en dessous d’elle.
… C’est une idée absurde, mais d’après Nina, c’est aussi ce qui lui donne son charme.

Une seule personne a décidé de faire l’inverse de tout le monde à la surface. Si au début on pouvait la croire folle, il est difficile de le faire maintenant. Pas quand elle est à la tête d’un million de morts qui creusent sans relâche sur les ordres de leur maîtresse. Pas quand il suffit de voir cette caverne et les efforts nécessaires à sa création pour comprendre le sérieux de son opération. Pas quand on sait qu’elle est capable de repousser les attaques des autres royaumes seule.

Pour autant qu’elle sache, la Reine de la Nuit est peut-être la seule personne vivante dans ce royaume, ce qui ne fait que l’impressionner encore plus.
Par contre, Nina ne sait pas trop quoi penser de ce statut de « demi-mort ». Si Deux, Cinq et Huit ne sont clairement pas des zombies ou des squelettes, il est difficile de comprendre ce qu’ils sont exactement. Bien sûr, ils sont bien plus forts que la moyenne et ont probablement un statut important dans le royaume des morts, mais est-ce que cela fait d’eux des généraux ? Des gardes personnels de la Reine ?

Les questions bourdonnent quelques instants dans l’esprit de Nina qui finit par rejeter une réflexion stagnante au profit de l’observation de la voûte et de ses constellations. Les morts qui creusent, la Reine de la Nuit et les « gardes ». Tout cela n’a pas vraiment d’importance et, vu la route qui leur reste à faire pour atteindre la montagne, elle préfère perdre son temps à s’émerveiller des milliers d’étoiles qu’elle peut voir.

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Correction : Hastin

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